[kôdÿir kòm fâZjo] (exp. nomin. FIA)
Juan Manuel Fangio était l’un des plus grands pilotes de l’histoire automobile. Champion du monde de Formule 1 à cinq reprises il a marqué le sport mécanique et ses sorties de virage sans frôler l’extérieur du circuit comme le notait Enzo Anselmo Giuseppe Maria Ferrari, font partie de son style.
Mais il a aussi marqué le langage en laissant dans son sillage une expression qui, bien qu’unique, fait polémique quant à son sens. Penchons-nous sur la chose.
Conduire comme Fangio, là est l’expression en question, recouvre deux acceptions liées à la conduite de véhicule motorisé : dans un premier sens (réservé à l’usage des esthètes) elle signifie piloter comme un as et de manière sportive, dans un second sens elle est la caractéristique d’une propension certaine à finir écrabouillé contre un platane au volant de sa 205 GTi rouge avec spoiler et enceintes de 3000 watts Dolby® surround.
L’utilisation de conduire comme Fangio suppose d’avoir ouï dire du Balcarceño sous peine de sortie de route linguistique. C’est probablement ce qui arrive à tous ceux imaginant un peu vite que conduire comme Fangio puisse signifier conduire comme un pied (sens numéro deux). Car même avec un bolide à la mode de la maison Peugeot¹, l’Argentin ne se serait pas retrouvé dans le fossé ou n’aurait pas froissé l’aile en tentant un créneau.
Nous récusons formellement tout emploi de conduire comme Fangio en synonyme de chauffard.
Ce type était un as du volant et même s’il fit toute sa carrière professionnelle sans posséder son permis de conduire ce n’est pas sur cette bizarrerie administrative que s’arrête conduire comme Fangio. L’utilisation en un sens négatif est donc officiellement bannie et pourra être sanctionnée d’un retrait de trois points et d’une amende de quatrième classe.
En Argentine, trois jours de deuil national accompagnèrent El Maestro quand il tira sa révérence. La langue française décida pour sa part de ranger sur les étagères surannées conduire comme Fangio. Étrange hommage, admettons-le. La modestie posthume de l’homme dût-elle en souffrir, conduire comme Fangio aurait dû être gravé sur un panneau du Code de la route et souligné d’un adéquat pictogramme noir sur fond blanc. Prière de conduire comme Fangio votre jolie voiture rouge au lieu de vous prendre pour lui en faisant crisser les pneus pour que les filles vous regardent.
Il n’en fut rien.
Conduire comme Fangio disparut donc en 1995, un an après qu’un autre surdoué du volant qui, lui, conduisait comme Fangio, eut terminé sa vie contre un mur, dans le virage de Tamburello, à Imola.
Ni le sport automobile, ni le langage ne s’en remirent vraiment.