[mâZé yn sup a lèrb] (gr. verb. BLE.)
Principe fondamental des années surannées, « mange ta soupe pour grandir » assomma de son impériosité sentencieuse plusieurs générations peu portées sur le bouillon de poule et la carotte mixée. Il est donc fort probable que ce traumatisme d’une enfance bafouée contribua à faire entrer en surannéité une expression au demeurant délicieuse.
Manger une soupe à l’herbe est en effet l’un de ces petits ravissements que le langage nous réserve pour peu qu’on veuille bien le laisser s’exprimer. Oui, il faut faire l’effort de n’en faire aucun pour accéder béatement à manger une soupe à l’herbe. Puisqu’il s’agit pour l’usager de l’expression de se coucher au soleil, de préférence sur une jolie prairie herbeuse ou au cœur d’un champ de blé, et de surtout ne rien y faire. Rien de productif s’entend, la contemplation interprétative des nuages et le mâchouillement d’un épi n’étant pas considérés comme profitables (si ce n’est à l’âme mais ceci est une autre histoire).
Nota bene : si manger une soupe à l’herbe s’effectue à deux, la présente encyclopédie décline toute responsabilité quant aux conséquences de la position allongée dans l’herbe.
De toute évidence manger une soupe à l’herbe traduit la légèreté de celui qui a le ventre creux pour cause de mauvaise fortune mais qui fera contre elle bon cœur, car son esprit est empli de bonnes choses puisque ce gros nuage ressemble à une barbe-à-papa sucrée, que celui-ci est un choux à la crème délicieux et que là-bas c’est une grappe de raisins juteux. Il faut être galvaudeux pour se contenter de manger une soupe à l’herbe mais la mixture a ses adeptes.
La mise en coupe réglée du moindre carré de pelouse qui se doit désormais d’être domestiqué comme un pauvre gazon anglais a donné à la soupe un goût qui n’appelle pas au reviens-y. Défense de marcher sur la pelouse par ci, gazon interdit par là, pesticide assassins de coccinelles et d’abeilles partout, ont meurtri la recette qui permettait de faire une bonne soupe à l’herbe. Le moderne ne connaît rien à la salsepareille, aux orties, à l’égopode podagraire dite herbe aux goutteux, et même au pissenlit : tout ça n’est que salade sans vertu pour celui qui se nourrit sans jamais mettre les pieds au jardin. Il n’entend rien non plus si on lui dit que manger une soupe à l’herbe permet aussi d’aller aux fraises (cf. NB princeps).
Et pourtant, s’il s’allongeait comme lorsqu’il était enfant, pour dévorer les nuages et faire une sieste dans la paille, il le retrouverait certainement ce goût suranné de la bonne soupe à l’herbe.