[tôdre la bâkiz] (loc. verb. JARDIN.)
Et l’on décida un jour de faire casser des cailloux à des condamnés, en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie…Preuve s’il en fallait que l’absurdité du travail poussée à son paroxysme est bien une forme de torture et que l’homme est plus apte à boire un petit Mâcon bien frais et à manger une soupe à l’herbe plutôt qu’à s’enfermer dans un bureau pendant des heures pour y remplir des tableaux Excel (mais ceci est une autre histoire).
De complexification du labeur en émergence de responsables de la photocopieuse du troisième étage et sous-chefs en charge de l’approvisionnement en trombones, le travail aboutit à l’orée d’un siècle qui allait entrer en modernité à tondre la banquise.
Jamais en reste lorsqu’il s’agit de râler sur l’organisation optimale de sa productivité, le Français fît naître avec cette langue qu’il a bien pendue et surannée, cette magnifique expression destinée à marquer toute l’incongruité, voire la vacuité, de certaines activités (qui n’en demeuraient pas moins rémunérées, notons le bien) : tondre la banquise.
Tondre la banquise est à l’art topiaire ce que le travail inutile est à l’épanouissement
Si la tonte peut s’avérer décontractante et même valorisante, elle ne peut le demeurer que dans le cadre d’un parterre engazonné à la française ou à l’anglaise mais en aucun cas sur banquise. Et pour cause : peu propice à l’épanouissement de l’herbe folle ou domestiquée, la banquise n’offre à l’Inuit que très peu d’espaces verts.
Tondre la banquise est à l’art topiaire ce que le travail inutile est à l’épanouissement : une mesure du néant.
La raréfaction du travail qui caractérise l’entrée du concept en modernité ne touche pas, paradoxalement, certaines professions ayant une très nette tendance à tondre la banquise. Certains vont même jusqu’à prétendre que le jardinage ne s’est jamais aussi bien porté dans des secteurs entiers de l’activité humaine rémunérée, désignant tour à tour l’agent d’accueil et d’orientation de La Poste, l’administration française dans son ensemble, les audit managers, les consultants en empowerment, les contrôleurs qualité et normalisation, etc., comme autant de jardiniers de l’arctique.
En 2009 le gouvernement français crée le poste d’ambassadeur pour les pôles arctique et antarctique, positionnant au plus haut dans la chaîne des responsabilités celle de la tonte de la banquise. Ce poste éminemment utile à l’épanouissement des manchots Adélie et à la préservation des ours blancs ne se voit pas octroyer, paradoxalement, comme mission de tondre la banquise.L’expression se fige dans les glaces, rejoignant les vestiges eux aussi surannés des millénaires précédents. Quant aux ours…