[asfiksjé le pjéro] (gr. verb. AU CLAIR DE.)
Qu’on se le dise, la langue surannée ne se parle pas qu’au Balto. Si elle comporte moult formules pour décrire ce qui se trame dans les établissements détenteurs d’une licence IV¹, c’est tout simplement que le bistrot est un lieu où la parole se libère plus facilement qu’ailleurs, convivialité oblige.
Chaque breuvage y possède sa propre expression et pour le petit blanc limé (Sauvignon blanc et limonade, pour mémoire) qui se prend exclusivement au zinc, à la hussarde, avant de rentrer au bercail ou de retourner au turbin, l’on dira asphyxier le Pierrot.
Le pilier de troquet est un poète, car c’est bien entendu au chansonnier Théophile Marion Dumersan qu’il pense en créant asphyxier le Pierrot, référence évidente à ce Au clair de la Lune, Mon ami Pierrot, Prête-moi ta plume, Pour écrire un mot, que le bonhomme publia en 1843 dans son Chants et chansons populaires de la France. Oui, l’arsouille a des lettres.
Pierrot est une figure connue pour son aspect diaphane qu’il porte dès le premier couplet d’une comptine populaire que tout marmot peinant à s’endormir s’est vu chantée par des parents patients, tant et si bien qu’il n’a pu en être autrement que de dire asphyxier le Pierrot quand il s’est agit de s’envoyer un petit blanc derrière la cravate. Et après tout, que quelques verres s’inspirent de quelques vers n’est qu’un juste retour.
L’étrange verbe asphyxier provient vraisemblablement de l’auguste geste dit cul sec, qui accompagne la plupart du temps la prise du petit blanc limé (pour rappel on est pressé quand on le prend). En effet, quand on boit cul sec on est tout proche de l’asphyxie. Si osée qu’elle soit, cette thèse n’a jamais trouvé de sérieux contradicteur.
La découverte tardive des strophes suivant le fameux premier couplet d’Au clair de la lune causera un arrêt brutal de l’enseignement de la chanson² plus paillarde qu’enfantine, puis l’apparition de l’horrible kir faisant perdre sa robe blanchâtre au vin blanc (cette fois un Bourgogne aligoté) en le teintant au cassis, entraînera définitivement asphyxier le Pierrot en surannéité.
Asphyxié à son tour par ces deux épisodes malheureux, le petit verre de blanc se verra supplanté par la Manzana glacée ou l’amer Spritz revenu quant à lui des limbes surannés. Comme quoi le moderne aime parfois s’encanailler avec du désuet.
Et si le blanc limé revenait un de ces jours ?