[ekʁiʁ yn lɛtʁ a ʃəval] (exp. CHEVAL.)
Suranné ardu en ces lignes. Oui, ardu, complexe à placer à propos, fin, esthétique, grand seigneur, décontenançant, goûtu.
Écrire une lettre à cheval n’est pas d’essence mérovingienne ou attilesque comme il pourrait bien le laisser paraître.
L’expression ne consiste pas à rédiger une missive sur son fier destrier à robe blanche (imaginez un peu la tronche de l’écrit avec un support qui bouge sans arrêt…). Écrire une lettre à cheval n’induit pas non plus quelque courrier de félicitations (ou d’indignation pour les pisse-vinaigre) au facteur Cheval pour l’ensemble de son œuvre.
Non, rien de tout ça.
Rien à voir non plus avec en parler à son cheval, marque de désintérêt profond globalement réservée à un usage adolescent dans le cadre de débats sur la question de l’autorité et de l’importance du travail scolaire par exemple.
Écrire une lettre à cheval ne demande pas plus de posséder une écurie avec moult cavales enclines à galoper sur les pelouses de Longchamp ou Chantilly chevauchées par de curieux et agiles petits hommes vêtus de couleurs improbables@ et faisant se pâmer les belles enchapeautées.
Non, écrire une lettre à cheval est presque à la portée du premier estomaqué venu dès l’instant où il possèdera une plume suffisamment épique et aiguisée pour faire part de son courroux¹. Las, là est la seule condition : être fâché, se sentir blessé, demeurer par trop dans l’expectative, se trouver fort marri, etc. Mais d’une colère froide qui devra moucher l’importun, lui clouer le bec, le scotcher, en un mot le souffleter et qu’il en reste coi.
Écrire une lettre à cheval implique vous l’aurez compris de monter sur ses grands chevaux sans les laisser pour autant s’emballer. On est dans le Cadre Noir de Saumur de la correspondance, dans la chevauchée sauvage épistolaire.
Écrire une lettre à cheval c’est donc s’offusquer en bons mots d’un acte, d’une attitude, d’une parole, dont on aura pris ombrage et qui demandera remise à zéro des compteurs. L’exercice est périlleux, d’où la constitution allégorique de l’expression. Un passé simple imparfait et paf ça dérape, une virgule ponctuant trop tôt un soupir et c’est la tirade qui s’effondre, un point d’exclamation mal venu et le ton sera trop monté.
Écrire une lettre à cheval n’est pas aussi simple qu’il y parait. Notre époque sans effort a trouvé la parade : ce sera l’invective. Plutôt que de ferrailler en bons mots, rédigés qui plus est, on se contentera d’un vague « va crever pourriture communiste », d’un spontané « eh bien casse-toi pauv’con » ou encore d’un « nique te reum grosse tepu » à la portée argumentaire toute relative.
Attention : une époque qui ne sait plus s’indigner dignement va au-devant de cruelles désillusions.
Militons pour la lettre à cheval garante de nos désaccords. Et s’ils s’installent et se poursuivent on règlera tout cela à six heures au pré clair. Le choix des armes à l’offensé.
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