[pif ɡadʒɛ] (n. can. PRESS.)
Pif Gadget c’est la presse jeunesse dans tout ce qu’elle a de splendide avant le temps des écrans et du jeu vidéo. C’est donc bel et bien suranné. Un temps de la lecture avide des aventures de multiples héros, tous porteurs d’un message que je ne découvrirais au bas mot qu’une trentaine d’années plus tard. Car plus que l’homosexualité des Village People, de Freddy Mercury ou encore George Michael, le secret inavouable des années surannées est bien celui que cachaient Rahan le rouge, Dicentim le trotskiste, Placide et Muzo les deux Mao, Totoche l’anarchiste. Oui, tous attendaient le Grand Soir…NDLR : quiconque tenterait d’émettre la moindre objection face à la surannéité de Pif Gadget serait immédiatement cloué au pilori pour mauvais esprit et complot contre les temps surannés.
Si Pif Gadget contenait un peu d’idéologie, il recelait surtout un trésor complexe, mélange d’éveil aux choses de la vie et de surprises des choses du bricolage, prémices de ces meubles suédois aux noms bizarres qui quelques années plus tard me poseraient le sans cesse renouvelé dilemme de la dernière vis inusitée qui semble indispensable mais ne trouve nulle place : le gadget !
Attendu comme le Graal de mes émois hebdomadaires, le montage du gadget accapara des heures de mon emploi du temps, des kilogrammes de colle et des centaines de francs de mon argent de poche. Mais surtout il me valut quelques procès en sorcellerie menés par la communauté scientifique d’alors et son bras policier séculier : j’ai nommé mes parents.
Les petits pois sauteurs du Mexique ne furent jamais reconnus à leur juste valeur par ma mère qui n’y vit que de vulgaires graminées à faire disparaître dans cet aspirateur grognant. Je vous aimais les mecs.
La machine à faire des œufs carrés, si elle me permit d’acquérir une certaine renommée locale, fut quant à elle remisée en fond de placard quand la famille toute entière se lassa des œufs cuits durs, c’est à dire au bout de deux jours de ce régime.
Le coutelas de Rahan fut jugé dangereux pour l’intégrité physique de mon frère qui refusait obstinément d’incarner l’un de ces vils sorciers ennemis du fils des âges farouches.
La lunette astronomique me permit à peine d’entrevoir la jolie voisine dans son déshabillé Lycra, beaucoup plus accessible que la Lune ou quelque lointaine planète.
L’Ocarina mit fin à ma vocation musicale dans les plus brefs délais, mon public s’avérant trop réactionnaire pour comprendre cette forme symphonique bien trop avant-gardiste pour lui.
Le microscope me permit d’attraper un orgelet, ce qui est après tout une forme de découverte scientifique.
La main ventouse de Pif orna longtemps la vitre arrière de la voiture paternelle. Qu’il soit remercié ici d’avoir pu supporter mon goût tout personnel du tuning.
Le four solaire me valut une belle raclée même si l’enquête n’a jamais pu prouver que c’était moi qui avait mis le feu au champ du paysan voisin, en ces vacances d’été de 1978.
L’encre farceuse qui ne tache pas ne fit rire que mes camarades d’école. Leurs mères, en revanche, ne partageant point notre sens de l’humour certainement trop potache, me maudirent quelques temps (leurs machines à laver et leurs diverses lessives s’avérant peu compréhensives quant au caractère non tachant de la chose).
C’était tout ça Pif Gadget. Une école de la vie telle qu’elle serait plus tard : des vis, du vice, des expériences, des réussites, des déconvenues et un sens de l’humour assez peu partagé.
Soupir…
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