[avwar déz- òrâZ syr la Seminé] (loc. verb. ROBER.)
SYN. Y avoir du monde au balcon
Ami djeuns’, voici de quoi moucher le vieux con suranné de la Belle Époque qui te serinera une fois de trop avec la profusion de biens à ta disposition pour tes loisirs et ton insatisfaction patente devant un Wifi bredouillant, quand lui « n’avait qu’une ou deux oranges à Noël et qu’il en était heureux. Ah, il les revoit, là, posées sur la cheminée… ».
Le refrain sur l’agrume, la cheminée et les yeux brillants d’une joie indicible qui étaient les siens est connu (il est à noter qu’il est même utilisé par ceux qui avaient un tricycle rouge à pédales, un Meccano®, une boîte du Petit Chimiste et un train électrique en cadeau).
Avoir des oranges sur la cheminée n’est cependant pas l’expression du bonheur enfantin au petit matin d’un vingt cinq décembre enneigé. Pour tout dire, avoir des oranges sur la cheminée serait plutôt la constatation qu’il y a du monde au balcon. Bref, qu’il est question de Roberts imposants. On est loin des préoccupations ludiques et des vœux dégoulinants de sagesse promise-jurée, adressés au Père Noël.
Oui ami djeuns’, tu pourras désormais rire sous cape quand papy opposera à ton apathie larvesque et ton appétit incessant pour la nouveauté 2.0, le souvenir ému des oranges sur la cheminée. Oui, tu pourras même t’esclaffer et rabattre le caquet de celui pour qui c’était bien mieux avant en lui apprenant qu’avoir des oranges sur la cheminée fait référence aux poitrines généreuses et qu’il n’est pas dans le ton de l’époque moderne d’en souligner l’existence – même sous forme laudative – sous peine d’en stigmatiser les propriétaires, délit désormais puni du pilori (mais ceci est une autre histoire).
C’est probablement dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, quand l’agrume luxueux faisait office de présent déposé sur la cheminée par les parents¹, qu’avoir des oranges sur la cheminée fit subversivement son chemin dans le langage imagé, atteignant le firmament quand la production d’oranges de contre-saison permit d’en déguster toute l’année. Le fruit n’étant plus rare, il pouvait devenir celui du péché en toute tranquillité. On pouvait avoir des oranges sur la cheminée chaque jour : un vrai bonheur.
Avoir des oranges sur la cheminée aurait pu ainsi régner pendant bien des années.
Las, l’expression devint brusquement surannée en cet été 2013 quand France Télécom, fille légitime des P&T, prit soudainement le nom d’Orange™.
Pervertie par la publicité qui, dès l’hiver suivant, fit du moderne téléphone portable le cadeau préféré à poser près de l’âtre, avoir des oranges sur la cheminée perdit toute raison d’exister dans son sens poitrinaire. Et les deux oranges à Noël s’imposèrent comme tu ne le sais que trop, ami djeuns’ qui possède désormais la clef pour briller en colportant à ton tour l’histoire d’avoir des oranges sur la cheminée.