[spiʁɔɡʁaf] (néo. CRÉA.)
Je vois bien que je vous énerve, si, si.
Mais est-ce vraiment ma faute si mon enfance est pourvoyeuse de suranné à satiété ?
Je vous rappellerai que le processus d’entrée en surannéité pour un mot ou pour une expression répond à un long et difficile chemin et que je ne suis pas le seul juge (vous pouvez regarder cette petite vidéo explicative si besoin est). Ce propos liminaire posé, on continue.
Mon enfance et la vôtre regorgent donc de suranné et nous exhumons aujourd’hui un instrument fabuleux qui nous permit un temps de croire que l’Homme de Vitruve était à notre portée, j’ai nommé le spirographe.
Jeu d’éveil comme on disait à l’époque (argument bassement commercial qui consistait à faire croire à nos parents qu’on allait réussir nos études parce qu’on aurait fait des dessins vachement sophistiqués¹), le spirographe se présentait dans une classique boite de carton pourvue d’alvéoles plastiques destinées à accueillir une quantité impressionnantes de disques crantés, creux ou pleins, des règles droites, de rapporteurs angulaires et d’équerres courbes, tous également pourvus de petites dents, le concept même de spirographe résidant dans une dentition régulière et harmonieuse.
Je tiens à signaler au passage que le rangement rigoureux dans les différents petits casiers du packaging ne pouvait jamais plus être obtenu après ouverture (l’idée de rangement facile est d’ailleurs une impossibilité en enfance). Mais ceci est un détail.
Le spirographe demandait fixation d’une feuille vierge sur un morceau de carton avec quelques aiguilles et avant même de développer plus longuement les univers qu’il permettait ainsi d’ouvrir, je souhaite pointer du doigt ce grand péché originel qui le conduira à sa perte : l’aiguille. Suivez-moi.
L’aiguille dont la raison d’être est de piquer fera bien son office. Elle piquera le papier mais elle piquera aussi les pieds. Car l’aiguille tombera sur la moquette et l’aiguille s’égarera dans les trois centimètres de cette blanche prairie (on est dans les années 70 je vous rappelle et la moquette est nécessairement de couleur claire et très épaisse). Et dans quelques jours l’aiguille bien oubliée se rappellera à notre bon souvenir en se plantant dans un pied nu passant par là. Elle sera confisquée et le spirographe perdra de sa stabilité. Je ne dessinerai plus de spirales compliquées. J’aurai une mauvaise note en maths. Ma vie sera foutue. CQFD.
Mais revenons un instant au beau geste, à l’art, à la découverte du mouvement, aux circonvolutions, à la rotation et à une certaine appréhension de l’univers. Il y a du Einstein et un peu de Léonard de Vinci dans chacun de ces dessins créés au spirographe.
Quatre doigts font une paume, et quatre paumes font un pied, six paumes font un coude : quatre coudes font la hauteur d’un homme. Et quatre coudes font un double pas, et vingt-quatre paumes font un homme.
C’est un peu la même chose : quatre tours font une fleur, et quatre fleurs font un bouquet, six cœurs font un univers : et quatre univers font la hauteur d’un homme, avec le spirographe. Ça fait du bien d’être un génie, même en dessin, même l’espace de quelques heures. C’est bon pour la gueule comme le chantait Renaud². Merci mon spirographe.
2 comments for “Spirographe [spiʁɔɡʁaf]”