[la kʁɛ ki kʁis syʁ lə tablo] (exp. pers. SENSAT.)
Aaaaaaarrrghhhhhh ! Rien qu’à l’évocation, ce son strident à la fréquence destructrice me glace les sangs. Il est encore temps pour vous de sortir.
La craie qui crisse sur le tableau est surannée parce que pour l’envisager il faut une craie et un tableau (noir ou vert foncé). Et il s’avère que ces deux éléments ont largement disparu du paysage pédagogique national pour se voir remplacés par qui des tableaux blancs de vinyle, qui des projecteurs électroniques avec plein de boutons ouvrant des fonctions inconnues. Pour être plus précis, les spécialistes datent la dernière craie ayant crissé sur le tableau de 1979¹, comme quoi ça fait tout de même un bail.
La craie qui crisse sur le tableau n’est donc pas loin d’avoir quitté le paysage sonore déplaisant de ce nouveau millénaire. Est-ce un mal ? Les générations nouvelles (les Y et les Z comme on dit dans le marketing) sont-elles si différentes des précédentes parce qu’elles n’ont pas connu cette vibration qui avait des conséquences immédiates sur la totalité des corps pourvus d’oreilles situés dans un rayon d’approximativement une salle de classe ? Ou plus simplement, ne pas appréhender que la réaction sonore d’un support (qui, rappelons le, est la somme d’une réaction orthogonale R et d’une réaction tangentielle F au support) selon un l’angle α que fait le support par rapport à l’horizontale, m la masse de l’objet en mouvement et g la pesanteur, a des conséquences immédiates sur la compréhension du propos que le dit support se proposait initialement de supporter est-il consubstantiel d’une utilisation aveugle et irraisonnée de Wikipédia ?
Je crains qu’il nous faille répondre affirmativement et je m’explique.
La craie qui crisse sur le tableau avait comme vertu première de ré-étalonner dans l’instant le niveau d’attention d’une classe assoupie au plus haut point possible. Même le cancre endormi en fond de classe auprès du radiateur se trouvait dans l’instant concerné, ses oreilles et son instinct de survie lui rappelant de concert la présence d’un prédateur dans sa zone de confort. Mieux encore, la craie qui crisse sur le tableau créait une cohésion de groupe instantanée, chacun quelles que soient sa condition sociale et sa relation au savoir se trouvant remisé au statut de bête effarouchée par un danger au cri d’hallali. La force grégaire faisait le reste, on avançait ensemble quelques minutes vers les eaux troubles de l’accord du participe passé, on se passait le « é », le « ées », le « és » comme si notre vie en dépendait, redoutant le retour de la craie qui crisse sur le tableau. Avec un peu de chances ont avait tout compris avant que ne sonne la récré.
On apprend désormais différemment. Des outils scripteurs² ont remplacé la craie, les élèves se sont mués en apprenants², et ils se chargent par eux-mêmes de dégager des régularités². Pourquoi pas… Ce qui fait mal aux oreilles n’est plus la craie qui crisse sur le tableau mais le jargon d’un ministère et de ses doctes représentants. Après tout l’essentiel est qu’il demeure un truc qui fasse toujours grincer les dents.
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