[telekʁɑ̃] (marq. JEU ÉDUC.)
Deux jeux révolutionnaires ont marqué les années surannées : le Spirographe et le Télécran. C’est du second dont il s’agira ici. C’est en 1960 que le Père Noël commença à distribuer aux enfants sages ce Télécran, vraisemblablement dénommé ainsi du fait de la présence de deux gros boutons ronds dans chacun des coins bas de son écran bombé à angles arrondis, soit à peu de choses près le design d’un poste de télévision (eh oui, pas de coins carrés et d’écrans plats dans les années surannées les gars).
Imaginé par un ingénieur Français (cocoricoooooo !), André Cassagnes, le Télécran donna le go du rangement oublieux des crayons de couleur et du papier et leur remplacement par les écrans plus ou moins magiques.
Jouet éducatif (on se demande encore comment peuvent réellement cohabiter ces deux antagonismes), le Télécran fait bien partie de la cohorte des cadeaux dont la fonction étaient de faire plaisir tout autant aux parents qu’aux enfants qui les recevaient.
Las…
Si tu as manipulé le Télécran tu sais déjà combien cette « salo**rie d’écran de m*rde » nous mentait en prétendant nous enseigner à dessiner une maison avec un toit en pente, une voiture avec des roues rondes ou un trois-mâts toutes voiles dehors !
Que celui qui a ne serait-ce qu’une fois pu tracer une diagonale avec ce truc le fasse savoir dans l’instant !
Tourner les deux boutons en sens inverse selon un rythme régulier et strictement similaire pour aboutir à cette fichue diagonale était rigoureusement impossible. La pub mensongère nous avait promis des heures d’ébahissements artistiques en famille au coin du feu, la vie nous servait des humiliations π r² au moindre essai de cercle ou Pythagoresque à la tentative triangulaire¹
Tant et si bien que les créations Télécran finissaient rapidement en gribouillis foireux et l’on peut dire aujourd’hui sans se tromper qu’aucune, oui, aucune de ces inspirations n’est passée à la postérité, ce qui est un camouflet cinglant quand on contemple la quantité de médiocrités affligeantes s’entassant dans les exhibitions clinquantes d’art contemporain et qui font se pâmer le bobo armé de sa carte Infinite.
Le Télécran nous a flingué une génération d’artistes, nous ne craignons pas de le dire !
Il ouvrit la voie à mille et une autres machines, à des programmes informatiques qui devinrent logiciels, à des applications automatiques qui nous donnèrent des ailes, laissant ainsi penser que la moindre bidouille imagée était en soi une œuvre, nous éloignant peu à peu de l’essence : l’idée.
De Télécran en Photoshop l’idée se fit la malle.
Il demeure heureusement de-ci de-là quelques audacieux résistants ayant digéré Télécran. Ce sont d’anciens enfants mal éduqués puisque passés au travers des mailles du filet. Ils ont fait des dessins, ils ont imaginé et continuent encore. Nous sommes sauvés.
Comme je n’avais jamais dessiné un mouton je refis, pour lui, l’un des deux seuls dessins dont j’étais capable. Celui du boa fermé. Et je fus stupéfait d’entendre le petit bonhomme me répondre :
– Non ! Non ! je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. Un boa c’est très dangereux, et un éléphant c’est très encombrant. Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton.
Alors j’ai dessiné.
5 comments for “Le Télécran [telekʁɑ̃]”