[dø ʃəvo vɛʁt sɑ̃ ʁətuʃ] (exclam. JEU)
Il était une fois des temps bien surannés. Odoncques à cette époque, les enfants ennuyés n’avaient d’autre moyen de se divertir que celui de faire foisonner leur imagination fertile. C’était le temps de voyages en voiture pour aller en Espagne, c’était le temps de la Nationale 7 qui allait jusqu’à Sète, c’était le temps où l’on dormait allongé à l’arrière sur la banquette, c’était la fête.
En ce temps là, donc, sévissait un jeu d’observation cruel à souhait, dont l’objectif final consistait à pincer vigoureusement qui se trouvait à ses côtés dans la voiture familiale en transhumance vers le Sud dès lors qu’on apercevait avant lui une 2Cv verte.
Conscient de l’incongruité du paragraphe princeps à une époque d’écrans vidéo embarqués, de Smartphone et de principes éducatifs différents, il convient à ce point du propos d’introduire un conséquent aparté sur la 2Cv; eh oui toi qui es suranné tu sais ce qu’est la 2Cv mais pense un peu à nos jeunes amis de moins de trente ans nés avec la Fuego, ils doivent savoir eux aussi que l’industrie française a su créer de véritables mythes avant de se perdre en Bx. La Citroën 2Cv (ou deuche, ou deudeuche) est un must en matière d’automobile populaire. Choc esthétique avant tout, elle possède un physique racé comme seules les sportives en sont dotées bien qu’elle ne leurs ressemble aucunement en matière de performances. Courbes montantes et descendantes, pare-brise incliné, toit ouvrant, suspensions inégalables, fenêtres à ouverture partielle, la 2Cv c’est la France (envoyez les couleurs !).
Ceci posé, revenons-en au principe ludique. Il est simple : on observe la route, le premier qui aperçoit une 2Cv verte est autorisé à pincer fermement l’autre en hurlant « 2Cv verte sans retouche !« (sous entendu sans possibilité de rétorsion). Si la 2Cv est largement présente sur les routes de France, elle l’est majoritairement en gris et en bleu, et la verte ne court pas les rues, vous aurez ainsi compris le ressort stratégique : laisser en paix les parents à l’avant. L’époque surannée n’est pas celle de l’enfant-roi mais celle de l’enfant-sage.
C’est généralement au niveau de Beaune, après plusieurs heures de pincements sadiques, que le jeu dégénère. La querelle procède au choix d’un véhicule cible aperçu en même temps, d’une couleur discutable (des modèles kaki circulaient encore), de la confusion avec une Dyane ou encore d’une douleur trop aiguë. Je colle donc un taquet à mon frangin qui se rebelle à son tour. Le chien qui est au milieu se jette dans la bagarre. Un coup de pied dans le dos du conducteur fait monter le ton du débat. Le coup de semonce administré par le passager avant ne fait pas le ménage. La voiture familiale s’arrête sur le bas-côté et nous prenons tous deux une sévère remontée de bretelles. Pendant ce temps le clebs s’est barré dans les champs. Il se roule copieusement dans une bouse de vache. L’odeur nous fera vomir jusqu’à Lyon.
Ainsi va la route Nationale des vacances dans un pays ensoleillé et heureux qui compte ses 2Cv vertes comme autant de ses monuments. Les Américains nous l’envient encore.
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