[fɛʁ bwate lə ʃəval] (gr. n. IMAG.)
Vous pénétrez dans cette zone surannée à vos risques et périls linguistiques. Prenez vos précautions parce que ça va swinguer. Nous allons tenter une expérience. Vous étiez prévenus. Vous ne pourrez pas prétendre que vous ne saviez pas.
Aujourd’hui est particulier parce que nous allons imaginer une expression surannée et l’exposer avec force démonstration et conviction, tant et si bien qu’à la fin de ce propos nous serons tous ensemble convaincus que cette expression a bel et bien existé et qu’elle est effectivement surannée. Suivez-moi.
Faire boiter le cheval nous vient de l’époque surannée où ce noble animal (bien effrayant pour moi par ailleurs) était le mode de locomotion le plus efficace avant de devenir la soi-disante plus belle conquête de l’Homme. En ces temps équestres et surannés donc, le cavale était autant indispensable à la bonne marche du siècle que l’est aujourd’hui le Wifi, je dis ça pour les plus jeunes d’entre nous. Et le maréchal-ferrant était un peu la hot-line de Free (je file la métaphore), vous savez le type qui vous demande si vous avez allumé votre ordinateur quand vous lui dites que les Internets sont tout cassés ou qui vous répond qu’il va vous envoyer un e-mail pour vous expliquer comment configurer la réception de vos e-mails. On disait alors que cet homme de l’art faisait boiter le cheval, autrement dit qu’il décidait selon son bon plaisir et son humeur de votre mobilité du lendemain. S’il était bien tourné il vous débloquait le Wifi en deux temps trois mouvements, s’il était de mauvais poil il vous mettait le bestiau au pré pour un moment.
Faire boiter le cheval c’est faire jouer un entregent mesquin et petit bras pour véroler une situation. Le bagagiste bougon fait boiter le cheval quand il envoie ma valise à Kuala Lumpur plutôt qu’à Tokyo. Le boulanger fait boiter le cheval quand il me donne une baguette calcinée alors qu’il sait bien que je l’aime pas trop cuite. La caissière de Carrefour fait boiter le cheval quand elle retourne mes Gervita et mélange ainsi la crème avec les fruits au prétexte de scanner le prix. Le facteur (pas le facteur cheval, je l’aime bien celui-là) fait boiter le cheval quand il met directement un avis de passage dans ma boite au lieu de sonner pour vérifier que je suis là et me livrer ce bouquin que j’attends depuis trois semaines. Bref le médiocre ordonnateur du quotidien fait boiter le cheval quand il a décidé de se payer ma tête qui ne lui revient pas.
Certains savants ont voulu y voir une expression de la dialectique hegelienne du maître et de l’esclave, celui qui peut faire boiter le cheval étant finalement le véritable maître. Pourquoi pas…
L’expression a rejoint son box elle aussi avec la naissance du cheval-vapeur qui deviendra par la suite cheval-fiscal. Hasard ou cavalière destinée, notons au passage que le garagiste et l’administration de l’impôt demeurent de nos jours deux compétences sachant encore bien faire boiter le cheval.