[ɛs ve pe ɔ̃z ɔ̃z] (num. tel. TV.)
Après le film, sur la 2, grandissait crescendo une musique grave et angoissante¹.Il commençait à se faire tard, le héros avait zigouillé les méchants mais la belle s’était quand même fait la malle avec un quidam bien plus lisse avec qui elle allait se morfondre toute sa vie si elle ne se décidait pas à revenir vers celui qu’elle aimait réellement, des noms défilaient de bas en haut sur l’écran à fond noir (on laissait le générique à l’époque surannée qui respectait le travail du plus obscur des techniciens 43e assistant responsable des canettes), et Alain Jérôme apparaissait en fondu enchaîné la ride du lion froncée et l’air soucieux et grave.
Là on comprenait que le débat qui allait suivre serait de haute volée sur un sujet profond, qu’on allait se coucher tard avec des millions de questions dans la tête et que le monde serait encore un peu plus compliqué le lendemain matin.
C’était « Les dossiers de l’écran ». Mais pas notre sujet du jour.
Tout au long des dossiers en question surgissait un propos qui semblait codifié et qui prenait la forme de trois lettres séquencées suivies d’un chiffre répété. SVP 11 11. Pour le béotien on pouvait penser à un top pour je ne sais quelle opération plus ou moins clandestine ou secrète, un truc du genre « Tora Tora Tora »² ou « Les sanglots longs des violons de l’automne, blessent mon cœur d’une langueur monotone »³, mais en fait rien de ça. SVP 11 11 était un numéro de téléphone qui permettait au téléspectateur de donner son avis ! L’ancêtre du 2.0 en quelque sorte.
Par le truchement de la voix grave de Guy Darbois, SVP 11 11 nous faisait savoir ce que pensaient les gens. Et c’est qu’ils y allaient ces gens. Des fois ils balançaient, des fois ils se fâchaient, des fois ils dénonçaient ! Elles devaient en entendre des vertes et des pas mûres les standardistes que l’on apercevait s’agiter derrière le synthétique Guy (c’était un peu le concept des Claudettes appliqué à la téléphonie, peut-être un peu sexiste mais on est à l’époque surannée et les femmes peuvent voter depuis peu…) en charge de nous donner la substantifique moelle de la pensée populaire. Tout au long du débat on allait « faire un détour au standard retrouver Guy Darbois » et SVP 11 11 revenait porter ses coups de boutoir plus ou moins éclairés. SVP 11 11 par ci, SVP 11 11 par là, une vraie mantra.
Il m’a fallu de très nombreuses années pour piger comment on pouvait composer SVP 11 11. 11, 11 je voyais bien sur le cadran du téléphone mais S, V et P, mystère et boule de gomme. S c’était 7, V c’était 8 et P c’était 7; oui jeune freluquet iPhonisé, les chiffres du cadran valaient aussi des lettres, trois par unité exactement sauf pour le 1 qui n’en avait aucun et le 0 qui disait O et Q. SVP 11 11 était donc le 787 11 11. Il deviendrait plus tard le 47 87 11 11 et encore plus tard le 01 47 87 11 11.
SVP 11 11 n’était pas qu’un standard d’émission de télé. Le numéro avait été créé en 1935 (année surannée) par le ministre des PTT pour désengorger les services de renseignements des administrations, une idée de génie dans une France déjà engoncée dans son mythique carcan administratif désormais producteur d’une profondeur insondable de pages Internet.
SVP 11 11 s’est peu à peu transformé laissant sa mue à l’époque surannée et perdant tout le sens de son code peu secret. Désormais pour l’appeler on pianote 0811 460 556. Tout fout le camp.
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