[valwaʁ ɛ̃ pɛ də lapɛ̃] (loc. verb. MESU.)
Il était autrefois (en des temps surannés) des unités de mesure dont l’existence nous est encore utile même si leur valeur nous semble désormais floue. Ainsi connait-on aujourd’hui un usage du sel bien différent de ce qu’il représenta pour nos anciens d’avant 1923 (date d’invention du réfrigérateur et donc de la conservation des aliments sans aide de sel), ainsi les plus surannés d’entre vous se souviennent-ils des Francs et de leur pièces et billets, ainsi d’autres mesurent-ils encore leur beurre en livre…
Parmi ces unités aux yeux modernes surannées, il s’en trouve une dont la charge est de peser le néant ou tout au moins le pas grand-chose, l’infime, le négligeable : le pet de lapin.
Disons-le tout de go ce qui ne vaut pas un pet de lapin ne vaut donc presque rien. L’animal n’est pourtant pas dénué de certaines qualités pouvant lui conférer du poids, par exemple son râble et ses cuisses sont je crois appréciés des gourmets. Et sans être de vison sa fourrure était dans des années surannées fort courue des élégantes à la recherche de chaleur et douceur. Mais rien n’y fit, la bestiole lagomorphe à longues oreilles laissa dans le langage la trace de ses vents et de leur insignifiante portée sonore et olfactive.
Mais pourquoi ? Pourquoi donc, vous demandez-vous (car vous êtes avides de connaissances).
Une hypothèse veut que si on y regarde de près, par exemple en entreprenant d’observer voire de disséquer un garenne ou un géant des Flandres, on constate que le système digestif du lapin repose sur un équilibre fragile. S’il mange ce qui lui sied il produira en une journée plus de quatre cents crottes¹, résultat de sa bonne digestion et si ce n’est pas le cas, il aura des selles molles de piètre qualité et rendant sa santé bien fragile. Et alors le moindre de ses pets sonnera l’hallali de sa petite vie. Elle ne vaudra même pas un pet de lapin.
Une autre thèse plus osée, mais il me faut bien vous l’exposer, soutient que c’est la piètre durée de ses amours qui serait responsable de l’expression, le pet cachant un autre mot que la décence interdisait alors d’utiliser. Ne pas valoir un pet de lapin qualifiant l’amant trop pressé me semble là encore un peu audacieux, mais pourquoi pas.
Parfois la langue surannée est bien injuste avec ses sujets. Faire porter aux flatulences d’une gentille bébête à fourrure le zéro absolu en quelque matière que ce soit n’est pas très charitable. Car vous l’aurez noté, le pet de lapin est une mesure en tout : idée professionnelle, œuvre artistique, performance sportive, stratégie politique, etc. Le pet de lapin est à l’analyste de photocopieuse et de machine à café, spécialiste lui aussi en tout, ce que la pomme est à Newton : une unité universelle qui permettra de classer, de ranger, de régler, de hiérarchiser, de juger. Et sa sentence est sans appel. Si le lapin pète, la messe est dite.
J’avais bien une autre idée pour nommer le zéro mais je ne donnerai pas de nom, il pourrait se reconnaître.
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