[ɑ̃tezit] (marq. dép. BOISS.)
La composition du mot suranné dont il sera question ici fut imaginée par un apothicaire. Déjà vous comprenez pourquoi il est tant suranné… Apothicaire… Mais nous reviendrons un autre jour sur le sort de celui-ci. En 1898 (le suranné marchait plein pot) Noël Perrot-Berton, apothicaire de son état, donc, se met en tête de lutter contre l’alcoolisme chez les cheminots et sur les chantiers. Je ne saurais vous dire quelle mouche le piqua ce jour là mais c’était bien sa grande motivation¹.Le père Noël comme on le dénommait affectueusement dans sa petite commune de Voiron (Isère, département suranné), trifouilla donc dans ses fioles, fit chauffer l’alambic, goûta et regoûta, vomit, mille fois sur le métier remit l’ouvrage pour aboutir un beau matin à l’Antésite.
Mélangée à de l’eau son petit goût d’anis blousa les buveurs trop avides et les transforma en gentilles brebis que l’ivresse désormais ne dévorait plus guère. Dès lors les aiguilleurs aiguillèrent, les cheminots cheminèrent et les maçons maçonnèrent tandis que les couvreurs couvraient. Ce petit monde de labeur et de sueur se désaltérait à l’eau chargée de quelques gouttes d’Antésite à base de réglisse et s’en trouvait donc tout guilleret.
Sans alcool, sans sucre ni édulcorant, l’Antésite devint tranquillement la boisson sympathique et bien économique. Fréquentant peu le monde ouvrier ou celui de la bête humaine durant ma prime enfance (c’est un tort, je sais, mais on ne peut pas user ses fonds de culotte sur les rampes de Montmartre et arpenter le Luco en tous sens et passer son temps à Billancourt) je ne connus l’Antésite qu’avec les premières colonies (de vacances, pas d’AEF ou d’AOF).
Comme nombre d’autres poulbots qui découvraient dans le désordre les filles (blondes), les cigarettes, la chasse au Dahu, la Nationale 7 et le Château de ma mère, je bus ma première gorgée d’Antésite après la quatrième strophe de « La digue du cul » que des monos joueurs nous apprenaient par cœur. À jamais l’Antésite demeurerait pour moi une boisson paillarde, un délicieux parfum de l’interdit, une sorte de petit goût de rébellion contre l’ordre établi.
Aucune des ivresses qui vinrent plus tard me faire croire qu’elles faisaient oublier² ne réussirent mieux que l’Antésite à me donner cet allant qui faisait surmonter la fatigue et gravir la dernière petite côte pour rejoindre les tentes.
🎶De Nantes à Montaigu la digue la digue🎶
De Nantes à Montaigu la digue du cul !🎶
Chers amis lecteurs, chères lectrices chéries, vous avez devant vous le moyen de repartir en colo sans risquer pour autant de passer pour un fou ou un ogre : achetez un ou deux petits flacons d’Antésite, c’est un concentré de bonheur suranné et ça fait voyager.
1 comment for “Antésite [ɑ̃tezit]”