[la nwaʁod] (n. propr. VACH.)
Politiquement correct et langage suranné ne font parfois pas bon ménage. Vous savez combien le moderne aime le lisse, le sans relief, le diaphane et le neutre, le pisse-vinaigre et le peine-à-jouir. Je vous préviens de suite le mot que voilà peut vous choquer si à l’aveugle vous préférez le non-voyant ou au con le mal-comprenant. Dans ce cas ne lisez pas ce qui suit, je n’en serai nullement fâché.
La Noiraude est une série animée de saynètes nous contant les états d’âme bien souvent noirs d’une vache normande dénommée du même nom. La Noiraude date de la fin des années 70 (1977) et est de ce fait surannée.
Elle ruminait tranquillement dans l’Île aux Enfants sur TF1 et nous téléphonait sa noirceur de non sens en trois minutes montre en main. On fricotait au second degré avec elle à une époque où la télé était encore un peu folle. C’était bien.
« Allô, je voudrais parler au vétérinaire…
-Ne quittez pas je vous le passe !
–Allô docteur, la Noiraude à l’appareil…
-Qu’est ce qui ne va pas encore la Noiraude ? »
Tout commençait par ce dialogue; à chaque fois. Un petit rituel d’introduction qu’on aimait imiter pour son ton dépressif et traînant. On entendait le cadran du téléphone qui tournait, le 🎶Tutututututututututu, ça sonnait et une secrétaire mal-aimable décrochait. Et puis elle lui passait le docteur qui essayait d’apaiser son âme en peine. C’était vraiment bien.
La Noiraude fut abattue sans sommation dans son pré alors qu’elle y paissait tranquillement. On m’a dit qu’elle n’a pas souffert. Elle avait vécu une saison. Des tenants victimaires au langage pétri de bienséance l’avaient prise pour cible, décrétant que son nom ne pouvait perdurer, qu’il était humiliant, qu’il aurait été préférable de la nommer « La De-couleur-foncée » ou quelque chose du genre. Ils avaient déjà à leur palmarès plusieurs techniciens de surface et une spécialité pâtissière à la guimauve (un délice). Les pauvres bougres ne savaient pas qu’en tuant la Noiraude c’est le langage et son esprit qu’ils assassinaient à grands coups de novlangue.
La Noiraude c’était la voix de Ginette Garcin, artiste touche-à-tout qui avait débuté avec Boby Lapointe et Jean Yanne, c’est vous dire si en termes d’humour décalé badigeonné au faux cynisme elle avait été à bonne école. Ginette avait aussi joué dans Dupont Lajoie (tourné par Yves Boisset en 1975), c’est vous dire si en termes de racisme ordinaire et de folie des hommes elle avait aussi été à bonne école.
La Noiraude n’avait aucun mépris pour qui que ce soit, bien au contraire. Les mal-comprenant ont souvent du mal à parler suranné.