[pʃ] (onom. H.F.)
Ah, la course au large… La dernière aventure moderne dans un monde 100% principe de précaution et 0% risque.Des hommes (et des femmes parfois), solitaires, affrontant seuls des jours et des nuits durant les éléments déchaînés, le pot au noir, les embruns, les coups de soleil, les baleines, les quarantièmes rugissants, les cinquantièmes hurlants… L’Aventure vous dis-je.
Une aventure qui nous était comptée au temps du suranné par la radio HF et des dialogues qui donnaient à peu près ça :
-Quelles sont les conditions actuellement Alain ?
–Pschhhhhhhh di-tions pschhhhh fi-ciles
-Et le moral ?
–Pschhhhhh -on pschhhhhhh
-Tu penses atteindre le pot au noir dans combien de jours ?
–Pschhhhhhh pchhhhhhhh
-Compris Alain, prochain contact dans 72 heures, bon vent.
–Pschhhhhhh
C’était le pschhhhhh qui faisait le charme du truc. Un crépitement, un chuintement, des silences qui créaient le suspense. Les ondes courtes comprises entre 3 MHz et 30 MHz donnaient le ton du baroud aux échanges, ça avait de la gueule de ne pas tout comprendre, on avait un peu l’impression d’y être nous aussi. Pourtant on écoutait Radio Monte Carlo. Et Alain naviguait sur une mer en furie.
Le moderne satellite et la numérisation nous ont flingué l’aventure. Aujourd’hui on converse avec un type au milieu de l’océan comme s’il était dans la pièce d’à côté. C’est triste. On s’entend bien, on se comprend. C’est chiant. Avec le développement des liaisons par satellite et par relais terrestres les ondes HF ont peu à peu coulé entraînant avec elles nos envies du grand large. Pourquoi s’en aller au milieu de nulle part affronter le destin si c’est pour en causer aussi clair ? Et pourquoi pas un selfie avec une sirène tant qu’on y est ? Plus de tumulte des flots, plus de vent qui hurle dans le micro, plus d’aventure vous dis-je.
Le pschhhhhh c’est le mystère, un son qui fait galoper l’imagination, un parasite de l’autre hémisphère qui dévore les informations pour laisser dans l’angoisse la femme du marin, ses copains ou même le monde entier. Le pschhhhhh c’est un dernier échange avec Alain Colas, le 16 novembre 1978 : « Je suis dans l’œil du cyclone, il n’y a plus de ciel, tout est amalgame, il n’y a que des montagnes d’eau autour de moi, pschhhhhhh ». Et puis plus rien. Le 3 décembre, peut-être : « Ici Manureva, suis en difficultés. Demande assistance »; c’est ce que racontent deux types qui justement savaient écouter les pschhhhhh.
Pas une trace. Rien. Juste le bruit du silence. Pschhhhhh…
🎶 Où es-tu Manu Manuréva
Portée disparue Manuréva🎶
Des jours et des jours tu dérivas
🎶Mais jamais jamais tu n’arrivas
Là-bas🎶