[klik klak kɔdak] (slog. PUB. PHOT.)
Dans un monde qui n’a jamais capturé autant d’images que celui d’aujourd’hui et qui produit de la photographie à la moindre occasion (hamburger, jambes sur plage, auto-portrait au sourire canardesque, chat qui dort, rencontre avec Patrick Bruel, etc.) qui sait encore que le geste qui consiste à presser un bouton pour arriver au résultat s’accompagnait dans les temps surannés d’une incantation laudative à vocation publicitaire ?Si vous avez répondu « Moi ! » vous êtes suranné. Oui l’ami, si toute ta vie durant tu as prononcé clic clac Kodak à chaque fois que tu prenais une photo, tu es vraiment suranné.
La Eastman Kodak Company est née en 1881 (surannéité validée) et a été à l’aube de la création des premiers appareils photographiques à pellicule¹, répandant dans le monde la possibilité technique de figer l’instant pour une éternité (et l’âme pour ceux qui ont du talent ou pour ceux qui vivent dans une tribu amazonienne). Cela aurait pu lui suffire pour passer à la postérité, mais non. Le coup de génie de la firme planétaire qui marqua son empreinte dans la culture collective se condensa en deux onomatopées et une rime (qui perdurent donc encore de nos jours dans la bouche des #VieuxConsSurannés) : clic clac Kodak. C’est simple, ça claque et ça reste en mémoire. C’est polyglotte, ça se réfère à un son mécanique; on est dans le génie de la formule. Du grand art.
Clic clac Kodak nous vient de la réclame (art majeur des années surannées) et plus précisément de « Clic clac, merci Kodak », une petite comptine chantée par les Surfs² en 1967 dans une pub scopitone qui méritera sa place dans la liste des messages à caractère commercial surannés sur laquelle nous reviendrons un de ces quatre. Grâce à la puissance conjuguée du slogan et du rythme, clic clac Kodak allait devenir un hymne à l’immortalisation de la pose inspirée; dès lors, dès qu’ils laisseraient sortir le p’tit oiseau, des millions de photographes amateurs l’accompagneraient d’un clic clac Kodak.
Peu d’organisation à caractère hautement mercantile ont réussi de telles prouesses. Passer du langage commercial au langage suranné est rarissime. Même Jeanne Marie Le Calvé, dite La Mère Denis, et son « C’est ben vrai ça ! » n’ont pas pu perdurer. Avec clic clac Kodak on tient une expression unique du bréviaire suranné.
Kodak créa en 1975 le mal qui allait la tuer. En imaginant la photo numérique dans des années qui étaient encore de papier elle s’inocula un virus qu’elle ne put contrôler. La pixellisation la réduit à néant et au dépôt de bilan. Mais qu’importe la fortune et l’argent, elle a surtout gagné une part d’éternité, elle est devenue surannée. Merci Kodak.