[madam sòlèj] (célèb. carto. AMOU.)
Ordoncques, ce mot que voici vivait bien avant les miss de la météo. Ce pourquoi il est nécessaire de reposer quelques postulats que les modernes ignorent certainement avec toute l’arrogance altière qui les caractérise.
Dans les années surannées pour connaître le temps qu’il allait faire on ouvrait la fenêtre, on regardait les nuages, on estimait le sens du vent, on écoutait le pinson piailler¹ ou le rouge-gorge gazouiller et on savait. Nul besoin de bombasse ingénue roucoulant des températures en deçà des normales saisonnières ou nous narrant les circonvolutions d’un anticyclone des Açores dont je n’ai jamais bien compris à quoi il pouvait bien servir².
Tout ça pour vous dire les amis que le soleil n’était pas en ces temps dont nous nous souvenons ici, l’apanage de la prévision mais bel et bien celui des prédictions.
Madame Soleil, puisque c’est d’elle dont il est question, n’a pas le physique de la miss météo d’aujourd’hui. Et c’est tant mieux puisqu’elle nous parle de notre avenir et non de celui des nuages. La diseuse de bonne aventure se doit d’être vieille et hors canons de la beauté. Il nous faut préciser que Germaine Moritz est née en 1913 et qu’elle a du vécu. Secrétaire du séduisant et célèbre Stavisky, monteur d’arnaques selon un système de Ponzi que le plus moderne Madoff reprendra à son compte quelques années plus tard pour le succès que l’on sait, Germaine a tôt compris que les angoisses humaines tournicotent autour de trois ou quatre sujets : l’amour, les roses, la vie, les sous, comme dirait Jean Gabin, et rien de plus. Et comme Germaine a été à la meilleure école qui soit en matière de carabistouilles avec ce bon Serge Alexandre Stavisky, elle va en monter une qui fera sa fortune et sa gloire, lui permettant de conseiller les plus puissants.
Pendant des années, sur Europe 1 qui est une voix sérieuse de la chose officielle, et au cœur du Club Dorothée qui est une voix qui compte pour cette belle jeunesse d’alors, Madame Soleil va nous dire ce qui va nous arriver en matière d’amour, de roses, de vie et de sous. Et c’est qu’elle est écoutée Madame Soleil, oracle quotidien qui distille en 183 Khz (les années surannées ne connaissent pas la FM) ses visions prédictives héritées sans doute de ses années d’apprentissage auprès de sa tante, diseuse de bonne aventure sise en roulotte à Pantruche, quelque part sur les grands boulevards. Les jours d’inquiétudes ce sont jusqu’à trente mille angoissés du lendemain qui tentent de la joindre au standard de la rue François1er.
Avec ses « r » qu’elle roule, son timbre gouailleur, et son sourire, elle est un peu la Mère Denis de l’avenir, Madame Soleil. Qu’elle nous raconte l’horoscope, sorte de prédiction à la pelleteuse où chacun ira piocher ce qui lui plaît, ou qu’elle consulte en direct, on l’écoute au moins parce qu’elle nous fait marrer.
Madame Soleil s’en va rejoindre les étoiles quand pointent les années 90, trop rationnelles et calculées. Elle laisse la place à des armées de liseuses de tarots, de traductrices des lignes de la main, de prêtres vaudous mais surtout prêts à tout, capables tour à tour de faire revenir l’être aimé en 48h chrono plus vite que La Redoute, réparer votre voiture par télépathie, guérir de toutes les maladies y compris le cancer, prédire les chiffres du Loto³. Des charlatans qui en veulent à vos sous et se moquent bien de l’amour et des roses. Si dans les années modernes « il n’y a plus de saisons » comme le veut le dicton, il y a toujours plus de morticoles. Pendant les travaux la boutique reste ouverte.
Tout ça alors qu’en vrai, la vie, l’amour, l’argent, les amis et les roses, on ne sait jamais le bruit ni la couleur des choses comme disait l’autre.