[ˈɛ perikolozo spordʒersi] (ital. SNCF)
La langue française dont il est question dans ce modeste ouvrage, possède une merveilleuse capacité à faire de mots auxquels elle n’en trâve que tchi des incontournables de son dictionnaire : c’est pour étudier ce processus d’assimilation langagière que je vous invite à monter en voiture car le train va partir.
Bienvenue à bord du Paris-Méditerranée par exemple, dans un wagon compartimenté au confort élégant qui oblige à une attitude du même acabit puisque l’on va se trouver face à face avec plusieurs inconnus pendant un bon nombre de kilomètres et d’heures.
Parmi les politesses qu’il faudra respecter, celle de prendre l’air se fera à la fenêtre du couloir latéral et non à la baie du compartiment.
Dans ce fameux couloir où l’on se frôle quand on se croise, on ouvre les fenêtres pour humer l’air de Provence quand on arrive vers les vacances, et ça sent bon. On ouvre aussi pour que les fumeurs puissent faire se consumer leur vice et leurs Gitanes, et ça ça sent moins bon.
Un strident et rapide crescendo dingdingdingdingdingdingdingdiiing nous signale que l’on va croiser des voitures arrêtées au passage à niveau. Je leur ferai coucou sans me pencher car, comme me le rappelle sentencieusement la SNCF, è pericoloso sporgersi.
Avant de le comprendre, pendant des milliers de kilomètres j’ai lu patiemment è pericoloso sporgersi. Ça sonnait bien même si ça ne me disait rien. D’où pouvait donc provenir ce è accentué qui semblait s’être échappé d’une règle de grammaire trop compliquée sur les accords en genre et nombre et avait donc décidé d’aller vivre seul une vie du rail ? È pericoloso sporgersi… Un message secret ? È pericoloso sporgersi… Une gravure ancienne ? La trace d’un mystère quoi qu’il en soit. Désormais disparu…
È pericoloso sporgersi a rejoint le suranné non parce qu’il était italien¹ mais parce qu’est arrivé le TGV. À trois cents kilomètres par heure nul besoin d’être polyglotte pour comprendre que sporgersi est périlleux. L’inclinaison du buste par la fenêtre a d’ailleurs été rendue techniquement impossible par de prévenants ingénieurs qui ont bien opportunément omis de les pourvoir de gonds et poignées. Par là même il est devenu peu probable d’entendre le dingdingdingdingdingdingdingdiiing d’un passage à niveau et de faire coucou. Par là même il est devenu difficile de sentir la garrigue quand on passe Valence direction le grand sud.
En supprimant è pericoloso sporgersi, la vitesse folle de l’époque moderne a en un coup un seul voué au suranné l’italien, le couloir du train, le garde-barrière et le parfum mêlé des chênes verts, des oliviers, des genévriers, du thym, du chèvrefeuille… Cette histoire va trop loin.
2 comments for “È pericoloso sporgersi [ˈɛ perikolozo spordʒersi]”