[i avwar dy môd o balkô] (loc. verb. BONNET.)
Noël au balcon, Pâques au tison nous rappellent la sagesse proverbiale de l’Almanach Vermot et ses confrères météorologues post journal télévisé à heure de grande écoute, diffusant ce faisant l’idée que cet élément d’architecture cher à la littérature (Cyrano de Bergerac et cette fameuse scène que vous avez jouée¹), à la peinture (Le Balcon, Edouard Manet, 1869), au théâtre (ah le balcon de la Fenice), à la poésie (Le Balcon, Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, XXXVI), à la spiritualité (urbi et orbi), est un incontournable d’une vie réussie.
Il est donc probable qu’y avoir du monde au balcon procède de cette profusion d’occasions d’y siéger dans des circonstances favorables à l’épanouissement de l’âme créative. Car c’est bien de cela dont il s’agit : l’expression y avoir du monde au balcon est celle d’une poésie, d’une imagination, d’un trouble aussi.
Y avoir du monde au balcon se nourrit de chair supposée fraîche et généreuse exposée au balcon de l’opéra Garnier, dans ce Paris d’antan et sa pudeur corsetée qui arrangent des mariages dans l’intérêt des familles. Les soirs de première les bourgeois y installent leurs filles à épouser, tous atours déployés, dans les loges des balcons. De l’orchestre on soupèse et suppose, on lorgne, on échafaude. Et c’est ainsi que les plus beaux partis, entendez généreux, sont poussés dans les bras des plus offrants où ils dépériront, se languissant d’une passion clandestine; une pratique heureusement révolue en notre époque moderne, les mariages étant tous d’amour éperdu².
1968 et sa révolution apporteront la fin d’y avoir du monde au balcon. Le Mouvement de Libération de la Femme (MLF) brûle les corsets pigeonnants en place publique et les poitrines descendent du balcon pour aller dans la rue. Il n’y a plus à loucher puisque tout est désormais exposé. On ne va plus à l’opéra mais à Woodstock où l’on ne trouve pas de balcon. Y avoir du monde au balcon s’affaisse en suranné.
Tombant de Charybde en Scylla, l’expression finira condamnée en sorcellerie pour sexisme et s’abîmera définitivement dans les profondeurs de l’oubli. Il n’y a plus personne au balcon et s’il s’avérait qu’on puisse y apercevoir quoi que ce soit, les Tartuffe modernes n’hésiteront pas un instant à chercher dans le répertoire suranné de quoi s’époumoner, il ne sont pas à ça près : « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées. »³