[lésé pisé le mérinoːs] (loc. verb. OVI.)
Le suranné a du vécu, c’est bien là sa qualité (si tant est que cela en soit une mais ceci est une autre histoire). Ce temps passé lui a permis d’engranger une expérience des humains aussi sait-il quand s’affoler et quand laisser les choses suivre leur cours tumultueux ou non.
Ce philosophe impavide possède en outre pour exprimer son détachement d’un quotidien qui s’agite un peu trop, une formule imagée diurétique dont il usera sur un ton détaché : laisser pisser le mérinos, utilisée généralement sous forme impérative.
Laisser pisser le mérinos est une incantation au lâcher prise devant la force d’éléments que d’aucuns considéreront comme importants mais qui ne sont en réalité que pipi de mouton, soit une expression frôlant le néant. Car pour autant doux et sympathique que soit le mérinos, ce gros mouton frisé ne respire pas la réflexion sur le sens de la vie et l’analyse dans les domaines du religieux, du philosophique, de l’artistique, de l’anthropologique ni même du biologique.
Il se dit même dans les milieux autorisés de l’élevage ovin que le mérinos paierait aujourd’hui un degré de consanguinité bien trop élevé ne le mettant pas dans les meilleures disposition physiques et intellectuelles. 4 % des jeunes béliers mérinos sont par exemple touchés par des problèmes de cryptorchidie¹.
C’est néanmoins à lui que l’expression surannée fait appel lorsqu’il s’agit de laisser pisser, ou, comme le disait Jean Gabin à un jeune Belmondo inquiet pour son avenir : « Regarde ta fiole ! Quand t’auras les pailles blanches, tu plairas encore aux gonzesses. Te magne pas la devanture et laisse couler l’Orénoque ! ». Gabin élevait des bovins et des chevaux, il est plus que certain qu’il aurait professé laisse pisser le mérinos s’il avait fait dans l’ovin.
Dans une époque moderne stimulée par sa course et stressée par la moindre conséquences des causes qu’elle se sera échinées à créer, laisser pisser le mérinos n’a aucune chance de survivre. L’inquiétude transformée en art de vivre et en loi avec son principe supérieur de précaution a envoyé l’animal pisser au suranné, là-bas derrière la bergerie.
Laisser pisser le mérinos a rejoint des centaines de mots pour une grande transhumance, ils iront vivre très loin dans la montagne. J’y serai moi aussi.
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