[lasjèt o bër] (gr. nom. CUIS. ÉLECT.)
Et l’on pourrait gloser tant et tant sur la France pays de privilèges que toutes les pages de cette pourtant cossue et exhaustive encyclopédie n’y suffiraient pas. Le miracle capétien n’y est sans doute pas pour rien (douze descendants directs de droit divin ça vous installe dans le confort), mais laissons aux historiens et sachants de tout poil le loisir de nous conter la chose.
Notre attention sera portée de son côté sur une appétissante métaphore de ces doux privilèges que s’octroient les puissants lorsqu’ils tiennent le pouvoir : l’assiette au beurre.
Commun même pour la plèbe médiévale, baratté depuis les Sumériens et même avant, graisse médiocre pour les Grecs et les Romains, le beurre va devenir au XVᵉ siècle un aliment de riches, ajouté en plus ou moins grande quantité dans les mets qui leurs sont proposés (d’où la notion de cuisine riche, mais ceci est une autre histoire). Ainsi le puissant se voit servir une assiette au beurre richement garnie, quand le faiblet pourra dans le meilleur des cas s’abreuver du babeurre aigrelet.
Le siècle suivant voit même l’assiette au beurre se perfectionner avec les beurres d’Isigny, de Gournay, de Chartres et de Vanves, chacun d’entre eux sachant flatter le palais comme il le faut pour bien rester en cour.
C’est en 1901 que l’assiette au beurre atteint son firmament d’usage, passant du statut d’expression populaire à celui de nom de journal (ami djeuns’, pour te donner une idée, en ces temps surannés un journal était un média aussi important qu’une chaîne YouTube avec des tutos maquillage ou des réflexions profondes sur le sens de la vie des chats; du lourd quoi). Hebdomadaire, puis mensuel, satirique illustré, l’Assiette au beurre se gaussera des privilèges dominants jusqu’en 1936 et proposera dans sa forme ce que l’art de l’imprimeur, du graveur et du papetier ont de meilleur¹.
En remuant la crème de la société, l’Assiette au beurre obtenait, tout comme la crémière battant la crème tirée du lait, un kilogramme de beurre pour vingt litres de lait entier. De quoi se régaler et bien se beurrer la tartine, la biscotte ou la raie, selon que vous étiez puissant ou misérable comme nous le racontait Jeannot² dans les Animaux malades de la peste. Se retrouver cité dans l’Assiette au beurre c’était en quelque sorte se faire choper la main dans le pot de confiture, et c’était surtout le risque de payer une addition salée.
Notons que dans sa grande sagesse, la langue surannée n’a pas souhaité préciser si le beurre de son assiette était salé ou doux, ne souhaitant vraisemblablement pas ouvrir un débat tout autant à fleur de peau dans la société française que celui opposant chocolatine et pain au chocolat.
Aux temps modernes, la corruption politique et les privilèges éhontés disparaissant, l’assiette au beurre ne fera plus ses choux gras de petits arrangements entre amis. L’expression s’en ira, laissant le cours sain et serein du pouvoir s’exercer.
D’ailleurs, le beurre se verra repoussé, boucheur d’artères qu’il était devenu, et des ersatz 0% iront même jusqu’à le remplacer. La bonne santé passe par l’absence d’assiette au beurre.