[pédalé dâ la Sukrut] (loc. verb. CYCL.)
C‘est tout de même un comble quand le registre sportif dont il est convenu qu’il n’est pas des plus riches en matière parlée¹, vient au secours de l’exercice cérébral en pleine déconvenue, s’empêtrant dans sa langue, cherchant ses mots, peinant à la démonstration, bref perdant les pédales.
C’est un comble mais c’est une réalité en surannéité.
Dans les cas ci-dessus présentés où un individu de prime abord en possession de toutes ses facultés de réflexion va soudainement les délaisser, laissant la place à des balbutiements, des circonvolutions, bredouillant des arguments abscons, on dira facilement qu’il est en train de pédaler dans la choucroute. Effectivement, telle la lanterne rouge du peloton agonisant dans les lacets du Tourmalet ou de l’Alpe d’Huez et cherchant le bon braquet pour quelques mètres des plus vers le sommet, le raisonneur qui déraille agite les guiboles en de vains moulinets.
La partie culinaire de l’expression que nous décortiquons ajoute du ridicule à la situation. Imaginons un instant cette discipline sportive qui consisterait à pédaler dans la choucroute et demanderait une installation conséquente sous peine d’en mettre un peu partout (et je vous laisse imaginer l’odeur) : aurait-elle un intérêt thérapeutique ou simplement sportif ? L’application de choucroute sur la peau n’est pour le moment nullement conseillée par un quelconque coach-gourou du capiton et du double menton, alors pourquoi y pédaler ?
Si l’on farfouille du côté du Tour qui écrit sa légende sur les belles routes de France depuis 1903 on trouve quelques indices qui renseignent sur cette spécialité alsacienne iconoclaste dans le monde de l’effort.
En 1910, Octave Lapize, routier-sprinter français et futur vainqueur de l’épreuve, épuise ses concurrent dans la montagne. Pour l’histoire il passe en tête au col de Porte, au Portet d’Aspet, à Peyresourde, à Aspin, au Tourmalet et remporte haut la main les deux étapes pyrénéennes. À l’arrière c’est la galère pour les derniers qui abandonnent et se retrouvent à bord de la voiture-balai, première du genre. Et c’est d’elle que viendrait la choucroute puisque qu’elle aurait porté des panonceaux en vantant les bienfaits.
Des coureurs cyclistes en perdition, une camionnette, un sponsor voyant, et voilà que nait pédaler dans la choucroute. Les forçats de la route forgeront leur légende contée par Albert Londres, vas-y Poupou deviendra le refrain suranné qu’on connaît, et pédaler dans la choucroute gravira les échelons jusqu’à devenir expression.
La diététique sportive évoluant et l’entrainement cycliste s’appuyant désormais sur les progrès de la pharmacopée plus que sur l’amour de l’effort, pédaler dans la choucroute a été rattrapée par la voiture-balai. C’est un bien grand malheur car ces truqueurs du dépassement de soi n’ont pas compris que c’est sur elle que se bâtissait la légende et non sur quelques secondes gagnées pour le premier. La victoire n’est belle que lorsque le risque de pédaler dans la choucroute est là.