[lami dy klèrZé] (loc. HIC.)
Le Petit Glossaire de l’argot ecclésiastique paru en 1966 chez Jean-Jacques Pauvert est un ouvrage unique à ce jour, écrit par Jean Follain, poète suranné s’il en est. Parmi les termes et expressions recensés en ses pages, le Glossaire nous livre une locution qui vaut son pesant de cacahuètes et de vin de messe.
Foin de tout suspense, révélons immédiatement que l’ami du clergé est la bouteille de calva cachée dans le garde-manger, derrière la miche de pain et le jambon salé, tout au fond du placard.
Oui, le curé du village, puisqu’il a décidé de consacrer sa vie à Dieu, ne peut éluder la Dive bouteille, ce serait là considéré comme une faute professionnelle. Mais loin de marquer une propension facile à abuser de la bouteille, l’ami du clergé nous renseigne surtout sur une forme d’humour clérical séculier dont il faut bien admettre qu’il doit être mal partagé si l’on en croit le manque d’affluence avéré lors de ses différentes représentations, vêpres et autres messes. Vous l’aviez remarqué, la grenouille de bénitier est peu rieuse.
L’ami du clergé est souriant parce qu’il est aussi le titre d’une revue qui pendant quatre-vingt-dix années (1878-1969) transmit la bonne parole aux 40 000 curés de campagne, leur prodiguant les justes réponses pour ferrailler avec ceux qui voulaient les bouffer.
L’ami du clergé explique par exemple que « parmi les enfants du catéchisme, il convient de distinguer les idiots absolus, les idiots profonds, les imbéciles proprement dits, les instables, les véritables indisciplinés, les véritables menteurs, les véritables paresseux, les hystériques, les épileptiques et les normaux¹ ». Ou encore que d’Adam au Déluge 2 262 ans se sont écoulés¹ (on est en 1905), que Goliath mesurait deux mètres quatre-vingt-seize¹, et que raisonnablement, il y a lieu de penser que les loups-garous sont des démons et non des hommes transformés en loups¹.
Notons en 1904, année du deuxième Tour de France, une position avancée sur le vélo et les femmes :
L’usage de la bicyclette par les femmes n’est défendu par aucune loi et ne peut par lui-même constituer un péché. Cependant nous sommes bien éloignés de décerner des louanges à cette mode ultra-moderne qui a pour résultat de trop émanciper la femme et de l’arracher plus ou moins à son foyer et à sa maison, puis de lui enlever plus ou moins aussi cette timidité délicate qui lui sied si bien, et on regrettera sans doute plus tard de s’être laissé aller sur cette pente.¹
Autant de préceptes qui demandent l’aide d’une bonne rasade de calva pour passer et être ensuite portés en chaire, même en ces années reculées.
L’avènement de la science² et de sa rigueur démonstratrice voua aux oubliettes l’ami du clergé dans sa version papier et fit de l’ami du clergé dans sa version liquide l’unique symbole d’un pousse-café bien mérité quand il s’agit pour l’homme de foi d’enfourcher sa bicyclette et d’aller sonner le glas au fond de la campagne pluvieuse. Il se mua en un p’tit dernier pour la route, mais ceci est une autre histoire surannée.
NB : l’ami du clergé n’a rien à voir avec l’ami Ricoré.