[dòrmir syr la békij] (loc. verb. MOTO.)
Les modernes chagrins imaginent qu’au temps lointain du suranné la place de la femme était à la cuisine, et que son consentement en toute chose n’était que purement accessoire, soumise qu’elle devait être à la volonté impérieuse d’un potentat matriarcal. Quelle erreur !
Nous n’étudierons pas dans ces lignes la locution maîtresse de maison, dont vous aurez bien noté qu’elle débute par maîtresse, mais une toute autre expression qui laisse à imaginer que tout chef de famille qu’il fut, l’homme régnant pouvait être déchu et son sceptre brandi ne lui servir à rien.
Il est fort à parier que dormir sur la béquille ne puisse être antérieur à l’invention de la première motocyclette, soit 1897, date à laquelle les frères Eugène et Michel Werner, fabricants dudit engin en déposèrent le nom¹. Ce sont en effet les précurseurs d’Easy Rider qui feront de la béquille un instrument rigide et érectile monté sur ressort qui ne demande qu’une légère impulsion pour sortir de sa réserve, et surtout un élément indispensable à la bonne tenue de leur fier destrier en position d’attente. Mais ceci est une toute autre histoire.
Dormir sur la béquille débute donc sa carrière au XXᵉ siècle et les chevauchées sauvages des hordes du Hells Angels Motorcycle Club fondé en 1948 par Sonny Barger et Walter Stadnick à San Bernardino (Californie) finiront d’en populariser l’usage auprès du plus grand nombre. C’est que les diables s’y connaissent question langue imagée et il est plus que probable que ce soit l’un d’entre eux qui fut parmi les premiers à dormir sur la béquille, tout tatoué et viril qu’il soit, éconduit par une serveuse de motel de la route 66 qui avait d’autres projets pour la soirée que d’enfourcher une grosse cylindrée².
Dormir sur la béquille est l’expression d’une frustration masculine de ne pouvoir, la nuit venue, réaliser son grand dessein darwinesque de faire perdurer l’espèce. Et lutter contre les forces de la nature est d’autant plus difficile à encaisser qu’on est un mâle en cuir avec une tête de mort dessinée sur son blouson. Notons que l’expression s’utilise cependant pour toutes les catégories de producteurs de testostérone, du chétif passe-muraille au hipster body-buildé, les uns pouvant s’avérer nettement plus concernés que les autres (mais ceci est aussi une autre histoire).
L’invention de la motocyclette à trois roues (qui est à la conquête de la route ce que le ketchup est à l’art d’épicer les plats) envoya fort opportunément dormir sur la béquille tutoyer le légendaire Peter Fonda (Captain America d’Easy Rider dont le nom est inscrit au Motorcycle Hall of Fame de l’American Motorcyclist Association), loin, très loin d’une modernité pudibonde qui ne veut plus jamais l’entendre prononcée.
Dormir sur la béquille s’avére donc surannée, et puisque l’année en cours n’a plus rien d’érotique elle se passe aisément de toute référence tumescente. Taisez cette insatisfaction que je ne saurais voir est le mot d’ordre.
🎼Get your motor runnin’
Head out on the highway
Lookin’ for adventure🎶
And whatever comes our way
🎶Yeah Darlin’ go make it happen
Take the world in a love embrace
Fire all of your guns at once
And explode into space🎶Born to be wild🎶
Born to be wild🎶
Steppenwolf, 1968, Born to be wild