[biɡòfòn] (n. pr. & com. ALLÔ)
Une fois n’est pas coutume, nous saluerons ici l’immense travail accompli par notre confrère en définitions et caractérisations Wikipédia qui nous livre une thèse complète et largement documentée sur le mot étudié. Nous sommes heureux de constater l’insidieuse influence que nos propres lignes propagent en cet autre docte ouvrage qui, ce faisant, fait du savoir désuet et de sa transmission un sacerdoce partagé.
Bigophone mérite bien ces honneurs. N’hésitons pas : dans sa contribution au rayonnement du suranné, bigophone est au niveau d’un schmilblick. C’est vous dire.
Lorsque naît François Romain Bigot, le dans une modeste bourgade de Lorraine (Saint-Nicolas-de-Port), rien ne le destine à léguer son patronyme à une postérité surannée. Il est tant anonyme parmi des millions d’autres que sa vie ne semble débuter qu’en 1881, date à laquelle il imagine un instrument de musique qui portera son nom : le bigophone (aussi écrit Bigotphone).
Réalisé le plus souvent en carton, le bigophone possède une embouchure d’un côté, et un cornet de forme laissée à la libre appréciation de son créateur de l’autre. La fonction amplificatrice dépendra bien entendu de l’ambition laissée au cornet en question.
L’utilisation du bigophone est simple : on fredonne l’air choisi dans l’embouchure qui pince une feuille de papier de soie et le son (la musique ?) ressort de l’autre côté, plus ou moins déformé par la structure de la trompe. C’est nasillard, c’est sans aucune harmonie, c’est l’instrument de celui qui a séché le solfège, bref c’est tout ce qu’il faut pour que ça devienne populaire et festif.
Le bigophone rencontrera un succès planétaire pendant plus de cinquante années, porté par des milliers de fanfares, de fêtes, de concours, de carnavals où les sociétés bigophoniques rivalisent de prouesses. À titre d’illustration, les Gueules de Bois de Ménilmuche constituent à cette époque une formation de bigophones des plus respectées et des plus connues (on ne dit pas encore médiatiques).
L’instrument perd de son lustre avec la guerre, la fanfare militaire lui préférant les cuivres plus clinquants, et se meut lentement en synonyme lorsque l’administration des P&T prend son essor. Il est plus que probable que c’est la qualité du son transmis alors via Turbigo, Médéric, Odéon, Port-Royal et autres centraux téléphoniques qui amène bigophone à signifier téléphone.
Bigophone accompagnera le développement pompidolien du téléphone, allant jusqu’à se contracter en bigo et à prendre toute sa place dans une expression à part entière : « passer un coup de bigo ».
Le 29 juin 2007, Apple lance l’iPhone, reléguant au suranné le bigophone. Désormais nommé Smartphone, l’engin sert à peu près à tout sauf à téléphoner¹. Dresser la liste de ses capacités modernes serait trop long et obsolète avant d’avoir fini. Mais quoi qu’il invente un iPhone ne sera jamais un bigophone.