Pisse-vinaigre [pisvinɛɡʁ]

[pisvinɛɡʁ] (n. m. ANC. FRA.)

Au temps du suranné qui ne l’était pas encore, je veux dire par là quand on usait quotidiennement du verbe aujourd’hui refoulé, en ce temps là donc, chaque expression portait une exaltante vocation : se rendre immédiatement compréhensible, notamment au gueux, à l’illettré, au vil manant. Pisse-vinaigre est de cette trempe.

Même l’engeance le comprend. Je vous présente le ci-devant esprit chagrin, thuriféraire morose des choses les plus pénibles : pisse-vinaigre. Qu’un seul, rien qu’un seul, s’assoie à votre table et le dîner tourne aigre tellement le sire est triste. Vous le reconnaissez à sa couleur muraille, il est blême comme un jour de brouillard, il a le regard mou, la main moite et le col affaissé. Rabat-joie par nature, le pisse-vinaigre ne chérit rien, ni la chair ni l’esprit, et sa présence est fade.

Si son nom n’est plus guère usité, il n’en a pas pour autant disparu. Ce genre là survit à tout tellement il esquive les passions. Sans avis et sans mœurs, sans idée sans combat, le pisse-vinaigre s’avère souple et servile. Il ne lit pas de livres, ne pleure pas devant une toile, ne frissonne pas à la voix d’une diva. Il nous enterrera sans aucune tristesse, « car il l’avait bien dit que cette farce se finirait bien mal ».

J’en ai croisé plus d’un. Ils étaient sobres quand j’étais ivre, ils étaient pleutres quand je voulais me battre, ils étaient économes quand je dépensais ce que je n’avais pas, et ils sont raisonnables quand je suis amoureux (de leur femme). Oui, le pisse-vinaigre a cette qualité de savoir faire le gentil gendre et le mari modèle. Il a gagné la blonde. Tu m’as bien eu pisse-vinaigre.

“À vaincre sans péril on triomphe sans gloire”, Corneille