[vêt-dö vwala lé flik] (interj. exclam. TAÏAU.)
Quand la maréchaussée pointait le bout du nez ou plutôt celui de son bâton, le monte-en-l’air, l’arnaqueur, le rat d’hôtel, le malandrin avaient comme surannée exclamation en guise d’annonce de débandade celle du 22 voilà les flics. C’est en tout cas ce que me racontaient les films et les bouquins. Ainsi, toute ma jeunesse entière passée comme il se doit (ou comme il se devait) à jouer aux gendarmes et aux voleurs, je répétais à satiété quand j’étais dans le rôle du brigand : 22 voilà les flics. J’aimais bien, ça posait son bonhomme. Un petit côté viril l’air de rien qui fait du bien quand le premier poil ne s’annonce pas avant plusieurs et lointaines années.
Si l’expression semble aujourd’hui cocasse et désuète elle le doit tout autant au mystérieux 22 qu’au suranné de flics. Ça fait bien belle lurette que les pandores sont devenus des keufs, que les condés sont rangés des voitures, et la maison poulaga va quitter son mythique 36 Quai des Orfèvres pour des lieux plus policés. Mais je vous assure que flic était terriblement subversif aux temps dont je vous parle et il n’était pas rare de se voir retoqué par les autorités¹ en cas d’usage trop important de la dénomination en question.
Je passais donc une enfance heureuse en grimpant dans les arbres et en pouvant de temps à autres me gargariser d’un bon 22 voilà les flics histoire de passer pour un dur. Et puis un jour, un jour… vint donc le temps des explications exigées. Quel est donc ce vingt-deux ? Tenez-vous bien car les experts dissertent sur la question et je vais vous en faire faire le tour.
Il y a les PTTistes², ceux qui prétendent que le 22 est l’ancêtre du 17, ce numéro à composer pour s’entendre demander de ne pas quitter car on va donner suite à notre appel avec un fond sonore type Vivaldi (c’est intéressant d’apprécier les Quatre Saisons quand on est poursuivi par un psychopathe armé d’une tronçonneuse qui cherche à nous découper en rondelles). Ils se confrontent aux Historiques qui leurs rétorquent que l’expression est trouvée dans des textes de 1874 ce qui parait très loin mais les PTTistes leur renvoient à leur tour la date de 1872 qui est celle des travaux d’Alexander Graham Bell donnant naissance au téléphone. Entre eux le débat continue.
Il y a les linguistes qui arguent de l’argot et qui jouent du couteau; pour eux le 22 c’est le couteau d’arsouille et sa lame de 22 centimètres. Mais ceci signifierait alors qu’il va falloir se battre avec les flics qui radinent plutôt que se débiner. Peu crédible puisque 22 voilà les flics sonne l’heure de la retraite.
Il y a les révolutionnaires du Quartier Latin qui prétendent qu’en 68 sur le Boul’Mich’ les pavés mesuraient vingt-deux centimètres sur vingt-deux et que l’annonce du 22 voilà les flics revenait à un sabre au clair en quelque sorte. Pas certain que les Mao et les Trotskistes aient pris la dimension du projectile avant de le balancer. Dani le Rouge, si tu nous lis et que tu peux témoigner…
Il y a les fashionistas qui comptent les boutons sur les vareuses des gendarmes et en trouvent onze par bonhomme soit vingt-deux au total puisque l’hirondelle ne sort jamais seule. La mode, la mode, la mode…
Il y a, plus crédibles, les grossiers qui nous jurent que 22 provient de Vain Dieu ou de sa variante Vingt Dieux qui en se déformant avec la peur du fuyard aurait donné vingt-deux. On est dans le possible.
Il y a les érudits linotypistes qui manient les hauts et bas de casse et nous content que le corps 22 était celui des titres des articles, le texte du tout venant étant du neuf ou bien du dix. Quand le chef d’atelier entrait dans l’imprimerie on criait 22 pour prévenir les camarades. Quand c’était le grand boss c’était du 44 comme pour la une : ON A ASSASSINÉ JAURÈS ! par exemple ce 31 juillet 1914 avant la grande boucherie.
Il y a les catholiques qui brandissent le chapitre 22 de l’Évangile selon Saint-Luc et ses versets 47 à 54 dans lesquels Jésus est arrêté. Pourquoi pas.
Et puis, parce qu’on est en France messieurs dames, il y a les piliers de bars qui nous vantent le 22 comme le jour de la paye et exaltent une certaine propension de Bérurier et ses comparses à dépenser leur oseille au troquet du quartier. Je n’y crois pas.
Vous le savez puisque vous me lisez depuis des lustres, il est rare que je m’avoue vaincu. Ce sera néanmoins le cas ici : je n’ai pas de juste explication pour ce 22 voilà les flics. Comme dans les films avec Alain Delon dans les années surannées, les flics ont gagné et ils m’ont capturé. La prochaine fois je me cacherai dans ma cabane. Là-bas au fond des bois ils ne m’attraperont pas.