[taje yn bavɛt] (expr. FAM.)
Tailler une bavette n’est pas une spécialité bouchère-charcutière. Bavasser, babiller, palabrer, caqueter, bavarder, sont tous synonymes de tailler une bavette.
C’est qu’il en faut du souffle, de la salive, de l’imagination et du temps, pour tailler une bavette. Un certain goût aussi pour la météorologie. Avez-vous remarqué que tailler une bavette obéit à des codes complexes ?
L’introduction tout d’abord : un rapide salut et le premier questionnement sur la santé de la personne ciblée. C’est important la santé, il faut toujours débuter par la santé. Car selon sa caractérisation dans l’échelle du mal le tailleur envisagera un diagnostic s’appuyant tout autant sur le temps qu’il a fait ces derniers jours (« il n’y a plus de saisons ») et le cours fluctuant du pétrole ou de toute autre matière première (« ils vont finir par tout faire péter avec leur bombe »). Ce faisant nous voici enchaînant sur la première partie de la bavette : l’état du monde.
Eh oui tailler une bavette c’est aussi un certain point de vue sur les affaires de la planète. Les guerres bien entendu (« quelle connerie la guerre »), l’élection/destitution de tel ou tel puissant (« au fait la fin du monde ça a eu lieu, parce que je trouve qu’on n’en parle plus beaucoup ? »), une découverte fondamentale en physique quantique (« les Bogdanoff vous n’allez pas me faire croire qu’ils n’ont jamais fait de chirurgie esthétique »). Et mine de rien nous voici abordant le grand deux de notre bavette en cours : le people.
Attention, la règle veut que l’on commence lointain, par exemple avec les malheurs de cette pauvre starlette et ses implants mammaires ou les tribulations narcoleptiques de ce chanteur qui a si mauvais genre avec ses tatouages (« vous savez, celui qui porte le même prénom que le frère du petit Kevin… Justin, oui c’est ça »). Et peu à peu on se rapproche. On transite par le people national (« il a bien grossi depuis qu’il est à l’Elysée, c’est que la table est bonne il paraît ») et on en arrive aux rives convoitées : la voisine d’à côté.
Instant crucial de la bavette qui demande un fléchissement léger de l’intensité vocale à des fins d’extrême confidentialité (surtout si on est en train de faire la queue à la Poste). Et c’est parti pour le costume trois pièces sur mesure pour cette fille aux mœurs étranges (« parfois elle rentre tard »), à l’allure suspecte (« elle doit faire des UV ») et qui bien que polie n’en demeure pas moins suspecte (« ah c’est sûr qu’elle dit toujours bonjour, mais… »).
Il ne nous restera plus qu’à conclure (« c’est pas tout ça mais faut que je finisse mes courses ») en se promettant la revoyure et se souhaitant la bonne journée. La bavette bien taillée se termine sans autre protocole mais c’est bien assez ainsi, car dès demain il faudra recommencer.