[məne le pul pise] (expr. FAM.)
Cette expression que je tiens de mes ancêtres aux propos imagés est l’une de mes surannées préférées. L’entendre me met à chaque fois dans une joie hilare et me procure le plus vif intérêt ethnologique pour la personne dont elle décrit présentement l’action. Elle est malheureusement peu usitée, même au sein des cercles les plus surannés. Mener les poules pisser est d’une telle poésie, d’une telle force, que même le profane en choses de la basse-cour, même le petit Parisien confondant une brebis égarée avec une oie blanche, accède sur le champ à son allégorie. L’image que j’ai en tête d’une cohorte poulardière dodelinant doctement en suivant le benêt fainéant qui les mène pisser est un véritable délice moqueur. Oh je sais, il n’est pas très charitable de se gausser ainsi, mais je m’absous dans l’instant car le plus vil est celui qui fait croire à l’effort alors qu’il ne fait que mener les poules pisser. Oui celui-là même qui nous trompe en nous décrivant son chemin harassant, celui qui nous laisse à penser qu’il a tant travaillé pour en arriver là alors qu’il n’est qu’un vulgaire imposteur¹.
On notera une utilisation possible à la première personne, je mène les poules pisser décrivant alors le désarroi profond de l’orateur face au vide sidéral de son activité de l’instant. Une façon de faire face au néant avec l’humour qui sied aux lucides. On m’a aussi rapporté que d’aucuns s’en servaient pour échapper à leur femme jugée trop vieille et trop pénible et qu’ils avaient cette indubitable qualité d’annoncer à la cantonade qu’ils allaient mener les poules pisser, un peu comme d’autres réussirent à s’enfuir en allant acheter un paquet de cigarettes. Une variante qui demanderait des investigations que je ne suis pas en mesure de mener.
Mener les poules pisser a rejoint la longue liste des expressions animalières imagées venues de nos campagnes. Si vous la cherchez, elle est quelque part entre branler le mammouth, peigner la girafe, compter les œufs dans le trou du cul de la poule, être le vilain petit canard… Elles sont toutes entrées en surannéité depuis l’exode rural, mais c’est la vie.