[mâZé avèk la furSèt dy pèr adâ] (loc. verb. SAV. VIV.)
En résumé, dans le jardin d’Éden il était convenable de se promener à poil, habituel de discuter avec les animaux et tout à fait correct de manger avec les doigts.
Les menus dérèglements qui suivirent un malheureux conflit de voisinage et une histoire de pomme qu’il ne fallait pas cueillir parce qu’elle appartenait à un grincheux voisin contraignirent l’humain à l’invention du caleçon, de la chasse et de la fourchette.
Dès lors surgit une expression qui voulut marquer fermement qu’on n’était plus au Paradis mais à la table familiale, et que non seulement on devait se tenir droit et mâcher la bouche fermée, mais qu’en plus il n’était pas question de tripoter la nourriture : manger avec la fourchette du père Adam.
Adam était ce locataire du jardin susnommé qui, lui, pouvait manger ses frites avec les doigts sans que sa mère¹ le lui reproche et menace de le priver du prochain épisode de Daktari s’il continuait (c’est d’ailleurs certainement pour cette raison que le lieu s’appelait le Paradis).
Adam fut combattu on ne peut plus fermement quelques années plus tard par la machiavélique Catherine de Médicis qui introduisit la fourchette (à deux piques) à la cour, et employa certainement pour la première fois l’expression manger avec la fourchette du père Adam à destination de la jeune Marguerite de Valois, ce qui expliquerait bien d’autres histoires concernant la future reine Margot. Dès la deuxième moitié du XVIᵉ siècle, adoptée par le roi Henri III connu pour sa distinction, la fourchette rejoint le couteau et la cuiller sur la table, et manger avec la fourchette du père Adam se répand auprès du bon peuple de France.
Au cours des siècles qui vont suivre, dans chaque foyer comme au Louvre puis à Versailles on se pensera libéré du péché originel parce qu’on fait attention à ne pas manger avec la fourchette du père Adam. L’idée sourde que, si le premier homme avait croqué la pomme après l’avoir coupée en quartiers avec un couteau puis mise en bouche avec une fourchette nous n’en serions pas là, taraude les théologiens.
La fourchette multiplie alors ses pointe et ses fonctions : elle devient à crustacés, à escargot, à fondue, à fromage, à gâteau, à huîtres, à poisson, à salade, à viande… Autant de modèles pour autant d’occasions d’entendre dire qu’on ne doit pas manger avec la fourchette du père Adam.
Le dogme est installé quand le 30 juin 1972, à Créteil, les nourritures terrestres encaissent un premier coup qui va conduire manger avec la fourchette du père Adam dans les limbes surannés. McDonald’s ouvre son premier fast-food en France. Servis sans couverts, les mets doivent être mangés avec la fourchette du père Adam !
Le succès foudroyant du cheesburger (avec une petite frite et un Coca) réduit tant l’usage de la fourchette à néant que manger avec la fourchette du père Adam ne peut plus être un reproche comme il l’était depuis le XVIᵉ siècle. C’est un séisme.
Désormais le moderne peut manger avec les mains et même se pourlécher les doigts pleins de ketchup. Un petit goût de Paradis pour lui.