[labéi de sòfreatu] (n. com. BORD.)
L‘ordre monastique de Cluny créé au Xᵉ siècle fut à l’origine du nom d’abbaye. Il est donc évident que l’abbaye ci-dessous définie ne peut avoir existé avant; en tant qu’expression s’entend, car en tant que lieu l’abbaye de s’offre-à-tous existe depuis toujours puisqu’on y exerce le plus vieux métier du monde.
On retrouve en effet des traces d’établissements aux fonctions similaires avec les dicterion de l’antique Athènes ou les lupanaria de la Rome même pas décadente.
Pour faire dans la litote, l’abbaye de s’offre-à-tous n’est pas vraiment « un monastère régulier en l’honneur des saints apôtres Pierre et Paul où sont réunis des moines vivant sous la règle du bienheureux Benoît, et un asile vénérable de la prière », comme son pieux prédécesseur clunisien voulu par Guillaume 1er, duc d’Aquitaine et comte de Mâcon.
L’abbaye de s’offre-à-tous c’est le grand Chabanais, le One-Two-Two, le Sphinx, des lieux aux principes antipodiques de Saint Benoît, homme peu porté sur ce qui n’est pas avantageux pour l’âme¹.
Dénommer ainsi la maison close est une façon narquoise et très dix-neuvième siècle de bouffer du curé qui tendrait à faire de l’abbaye de s’offre-à-tous une expression de ces temps là. Une manière habile aussi pour certains paroissiens, de s’offrir une petite retraite monacale : il est vrai que l’idée de partir quelques jours se retirer à l’abbaye des s’offre-à-tous passe mieux en société que celle, énoncée bien haut, « d’un p’tit week-end avec les donzelles de Madame Claude ». Une pudeur linguistique typique de la période florissante des bobinards.
Notons dans l’abbaye de s’offre-à-tous cette volonté délicate de ne pas parler d’argent, sujet jugé vulgaire, grâce à l’utilisation du verbe offrir, chacun sachant cependant que les dons aux officiantes sont les bienvenus².
Tout comme l’ordre clunisien sera battu en brèche par ceux des franciscains et des dominicains, l’ordre moral enverra l’abbaye de s’offre-à-tous en surannéité. Seul abbaye à fermer non par manque de vocations mais par affermissement des contraintes pesant sur son culte, l’abbaye de s’offre-à-tous disparaît du vocabulaire le 13 avril 1946³.
Les régulières de l’Étoile de Kléber, des Belles Poules, du Palais oriental (Reims), du Terminus (Châlons-sur-Marne), de chez Mme Marcelle (Lyon) ou de chez Mme Coste (Marseille) rejoignent les séculières dans la rue pour y faire leur persil. Beaucoup de fidèles en perdront la foi.