[sékuté pisé] (loc. verb. FAT.)
S‘il est convenu, dans la correcte modernité, de très poliment souligner que le phraseur toujours prêt à en remettre une couche dans le discours et à se trouver ce faisant spirituel et brillant, s’écoute parler, nous pouvions évidemment compter sur la langue surannée pour ne pas le laisser s’en tirer aussi facilement.
Il est vrai que ce péroreur fier de lui qui se croise aussi bien en ascenseur (le rendant infernal), qu’en séminaire (le transformant en galère), ou en banquet (gâchant le vin et les mets), méritait une qualification plus pointue. L’on disait donc de lui, quand on ne craignait pas d’appeler un chat un chat, qu’il s’écoutait pisser.
S’écoute pisser, donc, celui qui aime autant son timbre de voix que la luminance de ses idées qu’il professera sans relâche dès que l’occasion lui en sera donnée (ou qu’il prendra d’autorité si ce n’est pas le cas).
S‘écouter pisser fait du gargouillis de la miction¹ une symphonie unique appréciée au plus haut point par son créateur, rendant la tonalité d’une cascade urinaire sur céramique Villeroy & Boch aussi fascinante qu’un premier mouvement du concerto pour violon avec Yehudi Menuhin à l’archet, ou qu’une improvisation de Miles Davis taquinant la blue note.
Il ne peut, dès lors, y avoir qu’un triste butor pour se bercer de ses propres clapotis de pissat; en cela l’image véhiculée par s’écouter pisser est d’une limpidité sans albumine.
Les discoureurs toujours prompts à rappeler la morale et à se satisfaire de leur propre superbe ne manquant pas, s’écouter pisser connaîtra une diffusion massive au cours des années surannées avec un paroxysme incarné par les discours énervés d’un petit bonhomme à la mèche grasse et la moustache en brosse à dents dont nombre de ses contemporains apprécieront les idées sentant pourtant très fort la pisse (mais ceci est une autre histoire).
En 1980, soit un an après le Walkman, le Japon propose au monde entier une autre innovation qui va empêcher de s’écouter pisser².
Toto (entreprise créée en 1917 sous le nom de TOYO TOKI CO.) lance le washlet.
Avec leur abattant chauffant, leur jet nettoyant orienté, leur option musique intégrée, leur lumière, et surtout avec leur forme travaillée pour éviter le bruit que l’arrogant fait en changeant l’eau des olives, les toilettes du soleil levant envoient s’écouter pisser en surannéité.
Partout où Toto s’installe, l’infatué trépasse, disparaissant des assemblées, peut être happé par le flux de la chasse d’eau ultra silencieuse.
L’arrivée du Smartphone obligeant le petit commissionneur à la position assise finira le travail, ne faisant du fat moderne qu’un « gros con qui saoule tout le monde » comme on dit désormais, ce qui s’avère finalement nettement plus vulgaire que s’écouter pisser.
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