[ramné la bâljö â sâtrevil] (loc. urban. COIFF.)
Le débat fait rage en modernité, opposant centre et périphérie comme si les forces centrifuge et centripète étaient à la source du bon goût, de l’esthétique, de la richesse d’âme ou de portefeuille, et d’une longue liste de trucs top moumoute gardés par des cerbères en costume noir.
Mais banlieue et centre-ville occupaient déjà la langue surannée avant la construction du périf’ parisien, quand on bal-musettait à la bastoche ou sur les quais. Ramener la banlieue en centre-ville n’était pas cependant une préoccupation urbanistico-électoralo-politique mais appartenait alors au domaine capillicole¹.
On peut même avancer ici que ramener la banlieue en centre-ville était à la mode, portée très largement par les puissants, VGE ou « le plus jeune premier ministre donné à la France »² en tête. Ramener la banlieue en centre-ville consistait en effet à tenter de couvrir un haut de crâne dégarni avec de longues mèches latérales encore solidement implantées.
La capillarité comme symbole de virilité
Une sorte de cache-misère graissé au Pento pour espérer qu’il tienne en place mais qui ne leurrait personne sur le densité capillaire du bonhomme utilisant le subterfuge grossier. Ce qui n’empêcha pas pour autant ramener la banlieue en centre-ville de remporter un franc succès auprès des successeurs des Francs, ces guerriers à longues mèches qui donnèrent leur nom au pays et qui ancrèrent l’idée de la capillarité comme symbole de virilité.
Ramener la banlieue en centre-ville supposait donc que le quidam concerné se laisse pousser ce qui lui restait de cheveux sur une bonne vingtaine de centimètres, conservant un peu de son adolescence rebelle aux séances élaguantes du merlan, puis en parsème de droite à gauche et de gauche à droite la lande désolée de son chef dénudé. Autant dire que l’exercice périlleux ne parvenait jamais à donner l’illusion d’une coiffe ébouriffée.
Comme tout chantier de gros œuvre, ramener la banlieue en centre-ville ne se faisait pas sans nuisances (parmi lesquelles celle, au réveil, de la vision étrange d’un hippie ayant abandonné le trois-quart de ses convictions généreuses puisque ne conservant ses cheveux longs que sur les tempes) : il faut souffrir pour être beau, que l’on soit une ville ou un homme du monde.
Le 12 juillet 1998, aux alentours de 23 heures, la banlieue et le centre-ville ne font plus qu’un, sur les Champs-Élysées et partout dans le pays. Par la grâce de deux coups de boule d’un type dont les cheveux commencent à n’être qu’un souvenir et de la chevauchée d’un chevelu à queue de cheval, la France ne sait plus vraiment où elle habite. Et c’est normal puisqu’elle est championne du monde de football.
Plus question de cacher cette banlieue qui nous-a-fait-gagner-bordel-on-est-champion-du-monde-et-un-et-deux-et-trois-zéro ! Même en centre-ville on est tous un peu de la Castellane comme Zidane, on est tous un peu chauves comme le divin Barthez.
L’euphorie fraternelle aura l’effet d’un traitement contre l’alopécie : rien ne changera vraiment. Seule ramener la banlieue en centre-ville en subira les conséquences, disparaissant en surannéité puisque la boule à Z est désormais la coiffure des vainqueurs.
1-0 pour la modernité.