[fɛʁ plœʁe lə kɔlɔs] (loc. verb. LARM.)
On peut faire trente mètres de haut, être dur comme le bronze, brandir fièrement sa flamme et pour autant verser une larmichette de temps en temps.
La statue d’Hélios, dieu Grec personnifiant le soleil et sixième merveille du monde qui dominait l’entrée du port de Rhodes en est la preuve.
Le fameux colosse de Rhodes pleurait parfois, peut-être en contemplant le soleil se coucher sur la mer Égée, peut-être en repensant à cette blonde partie là-bas derrière la mer, nul ne le sait vraiment. Et pourquoi ne serait-on pas sensible, au prétexte qu’on est une divinité et qu’on doit éclairer le monde ?
Ce n’est pourtant pas de ce chagrin divin que vient faire pleurer le colosse. L’origine de la locution est un petit peu moins glamour mais vaut tout de même le détour.
Concoctée par la frange uro-comique des pratiquants de la langue surannée (les fameux tenants du pipi-zizi-panpan¹), l’expression faire pleurer le colosse désigne en effet la vidange de la vessie masculine, le ressort cocasse résidant non pas dans l’usage du verbe mais dans la métaphore popaulesque² du sujet.
Ainsi, annoncer que l’on va faire pleurer le colosse souligne les mensurations flatteuses de l’appareil pleurnichard avec une légère touche de fausse modestie censée susciter admiration et envie. Une façon détournée de promettre une autre vision du monde à qui voudra bien monter dessus pour voir Montmartre (ou tout autre point de vue remarquable digne de ce nom). Force et sensibilité mêlées, voici les qualités que pense mettre en avant celui qui utilise faire pleurer le colosse.
On entendra donc couramment au zinc du Balto l’un des convives accoudé excuser à haute voix son absence à venir avec une sentence du type : « Bon, je vais faire pleurer le colosse, pendant ce temps tu nous rhabilles le gamin Marcel ».
Cette formule de politesse faisant connaître à l’assemblée la miction à venir est exclusivement masculine, évidemment. La gent féminine détient quant à elle l’usage de se repoudrer le nez que d’aucuns jugeront plus poétique, mais ceci est une autre histoire.
En 1977 a lieu dans les Studios Universal en Californie, le premier concours ayant pour vocation de désigner l’homme le plus fort du monde. Un petit amusement sans prétention qui va cependant envoyer faire pleurer le colosse en surannéité.
Bruce Wilhelm soulève des trucs lourds, en jette au loin d’autres qui pèsent un âne mort, charrie sur ses épaules musclées des sacs remplis comme celui d’un collégien de sixième le jour de la rentrée des classes, et en fait des tonnes au sens propre comme au figuré. Il devient le premier homme le plus fort du monde. Une consécration.
Las, le bonhomme ne peut retenir une larme en recevant son trophée prestigieux. Le colosse de cent cinquante kilogrammes et cent quatre-vingt huit centimètre vient de pleurer, et nul n’a le courage d’aller lui expliquer que ça lui fait une tête de gland.
Écrasée par le succès planétaire de The World’s Strongest Man (véritable mine d’or pour produits dérivés vendus à des gringalets épais comme des ablettes) faire pleurer le colosse ne s’en relèvera pas.
Ces modernes qui voyaient en elle une expression du mauvais goût ont-ils vraiment gagné au change ?