[ale a la ʁiflɛt] (loc. guerr. FRON.)
Il est possible que dans un élan primesautier destiné à minimiser le fait d’aller mourir pour des idées (et le plus souvent celles des autres qu’on n’aura d’ailleurs pas totalement comprises – même si ceci est une autre histoire), le langage suranné ait créé cette expression pour signifier qu’il va falloir partir à la baston.
Et pas à celle du samedi soir qui fait des yeux au beurre noir, Picon-bière au comptoir, Bleue garée sur le parking du baloche et cuir sur le dos. La véritable, celle qui fait des trous dans la peau : la riflette.
Aller à la riflette c’est en effet monter au front (celui de 1914 et des années qui suivront) avec pour plus certaine issue celle de voir son patronyme gravé sur l’un des trente-six mille monuments décorant de leur obélisque, de leur gisant ou de leur Poilu touché en plein cœur, les places des villages de France.
Une forme de rappel érectile et urbain à la fois qui explique notamment le succès d’aller à la riflette sur l’ensemble du territoire (hors quelques villages comme celui de Thierville dans l’Eure qui n’a pas de monument aux morts, aucun de ses enfants n’ayant été fauché sur un champ de bataille depuis 1870).
L’expression est en effet d’usage fréquent, le souvenir des dix millions de soldats occis par la Der des ders constituant autant d’occasions de l’employer, bientôt renforcé par celui des vingt-cinq autres millions de la cette-fois-c’est-la-dernière-promis-juré-on-arrête, puis viendront les morts de la non-mais-ça-c’était-pas-vraiment-une-guerre et ceux de la c’est-pas-moi-qu’ai-commencé, sans oublier ceux tombés lors de la c’est-pas-chez-nous-donc-ça-compte-pas. Ce qui au bout du compte en fait des types allés à la riflette et pas revenus. Comme par exemple ce bon Rémy Mathé né le 20 janvier 1892 dans la Nièvre et tombé au Chemin des Dames, à vingt-cinq ans.
C‘est son suffixe en -ette, diminuant et amusant, qui rendra aller à la riflette surannée. Jugée peu sérieuse dans les discours d’hommages déclamés par ceux l’ayant décidée mais ayant omis d’y participer, la riflette se verra mise de côté par tous les officiels aux airs compassés le 11 novembre au petit matin.
Plus grave encore, elle subira le même sort chez les poètes, Prévert préférant un plus sentencieux « Quelle connerie la guerre » à un trop léger quelle connerie la riflette, Boris Vian renonçant quant à lui à toute rime en -ette dans Le Déserteur.
Pourtant, Monsieur le Président, Je vous fais une lettre, Que vous lirez peut-être, Si vous avez le temps, Je viens de recevoir, Mes papiers militaire, Pour partir à la guerre, aurait très bien pu être Monsieur le Président, Je vous fais une lettre, Que vous lirez peut-être, Si vous avez le temps, Je viens de recevoir, Grâce à votre estafette, De quoi perdre l’espoir, Aller à la riflette.
Rimer avec tartiflette et trottinette, ça fait rire un instant mais ça n’aide pas à survivre. Que ce soit à Verdun ou en littérature.