[fafjo] (n. herma. GRISB.)
Les dynasties chinoises manipulaient la paperasse depuis longtemps lorsque John Law de Lauriston fit le malin en créant la Banque générale, autorisée par le Régent Philippe d’Orléans à échanger du papier-monnaie contre de l’or, en 1716. Une grande première en Europe.
Qu’importe, ce qui compte pour la langage c’est qu’il entend émerger dans les rues du côté de l’hôtel de Nevers à Paris, siège de ladite banque, le nom de fafiot pour désigner le talbin. Gagner du fafiot va petit à petit devenir une obsession, le grisbi débutant son règne tranquillement mais sûrement.
Le temps où le flouze ne se comptera plus qu’en fafiots va arriver cinq ans après la loi du 18 nivôse an III (1795) et ses premiers francs. À partir de 1800, Martin Garat devient directeur général de la Banque de France (la générale de Lauriston a fait faillite en 1720) et le fafiot devient garaté, c’est-à-dire signé par le bonhomme en question comme gage de mille vertus. Le banquier est un être craintif et la gribouille d’un ponte sur un bout de papier le rassure, c’est ainsi.
Le crédible fafiot garaté se met à exister en version mâle de mille francs, en fafiot femelle qui vaut cinq cents francs, en fafiot en bas âge (cent francs) et en fafiot môme (cinquante francs). Selon que l’on possède l’un ou l’autre on a plus ou moins voix au chapitre. C’est un peu le même principe que celui des kilogrammes : quand les types de cent trente kilos disent certaines choses, ceux de soixante les écoutent¹.
Un fafiot môme fait le pourliche du loufiat qui remerciera en courbette, un femelle force le respect du sceptique à qui il est glissé discrètement, quand un mâle rabat le caquet à quiconque entendait la ramener : quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre tout le monde écoute². Et si le fafiot mâle sort en liasse, c’est la tournée des grands-ducs qui s’annonce : le fafiot va flamber.
Papa fafiot, maman fafiot et leurs enfants fafiots vont être l’objet de toutes les convoitises, studieuses, laborieuses, malhonnêtes, meurtrières s’il le faut. Et ce ne sont pas les mièvreries en adages façon Almanach Vermot sur le bonheur qui ne serait pas fait par l’argent qui viendront calmer la fièvre du fafiot, falote version de celle de l’or.
Le fafiot est le roi.
Après plus d’un siècle d’enluminures allégoriques agrémentant des fafiots d’inspirations esthétiques dignes des meilleures abbayes des s’offre-à-tous (muses drapées alanguies, déesses ailées, nymphes hiératiques portées par des cerbères musculeux – cf. fig. A.), la République va décider d’offrir l’aura fafiesque à des figures dont la célébrité va prendre le pas sur fafiot, mâle ou femelle.
Le chevalier Bayard (celui sans peur et sans reproche) sera le premier. Chateaubriand (500 francs 1945), Victor Hugo (500 francs 1954) lui succèderont, et le fameux Richelieu de 1000 francs (1953) enverra définitivement le fafiot dans l’oubli. Le Pascal, 500 francs émis en 1969, sera le plus glorieux représentant de ces grands noms rendant l’appellation fafiot surannée. À partir de 1970 on exhibe les Pascal, pas les fafiots.
Pascal ne sera pas non plus éternel. Le 1er janvier 2002, d’anonymes billets sans figure introduisent une nouvelle monnaie d’union économique et monétaire. La Banque centrale européenne qui gère la chose avec le plus grand sérieux refusera que ses 21 406 927 501 papelards en circulation³ prennent un autre nom que billet. On ne plaisante pas avec l’euro.
Et puis traduire fafiot dans un peu plus d’une quinzaine de langues était certainement impossible.