[kuSé dâ le li o pwa vèr] (loc. psyché. SOMM.)
Quand les expressions surannées sonnent comme une chanson psychédélique anglaise écrite sous psychotropes¹, il y a de l’esprit beatnik à la création. C’est certain.Coucher dans le lit aux pois verts est connue dès la moitié du XIXᵉ, soit à la même période où apparaît le mot beat désignant les galvaudeux et les hobos voyageant dans les wagons de marchandises à travers les États-Unis et l’Europe. Ce n’est évidemment pas un hasard.
Il leur fallait bien une expression à ces provocateurs dédaignant le cinéma des draps blancs pour dormir à la belle étoile, et coucher dans le lit aux pois verts a paru assez doux pour ne pas abîmer leurs rêves de liberté et d’espaces infinis.
Version nocturne de manger une soupe à l’herbe, elle est empreinte de poésie hallucinogène travaillée au champignon du même type avec ses petits pois qui feront une alcôve accueillante, car quiconque s’est jamais étendu dans un potager faisant pousser des Prince Albert, des Michaux de Hollande ou des Téléphone à rames sait bien que le pois de printemps ou d’hiver ne constitue pas un matelas confortable. Mais avec la fatigue d’une journée passée à éviter la maréchaussée ou les bonnes gens qui n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux – et l’aide d’un papier buvard imprégné d’acide lysergique diéthylamide² – les graines dans leur gousse sembleront aussi douces qu’un édredon de plumes.
Coucher dans le lit aux pois verts c’est l’expression de la contre-culture à son apogée.
Suivant la courbe de vie des idées anti-autoritaires et anti-réactionnaires (du type « non à la dictature du brossage-des-dents-pipi-et-au-lit »), coucher dans le lit aux pois verts ira déclinant lorsque les cheveux longs se feront plus courts afin de réintégrer le bercail certes bourgeois mais après tout nettement plus douillet qu’une guitoune au Larzac. Dormir dehors pendant le Summer of Love c’est rigolo, quand il fait un temps de singe en laiton c’est déjà moins plaisant.
Devenu un moderne, l’ancien chevelu désireux d’oublier cette période un peu honteuse de sa vie procèdera à la mise au rancart de coucher dans le lit aux pois verts.
Il est tellement loin de tout ça désormais qu’il n’est même plus capable de s’imaginer dans une barque sur un fleuve avec des arbres de mandarines et des cieux de confiture, cherchant la fille avec le soleil dans les yeux : Lucy dans le ciel avec des diamants, Lucy dans le ciel avec des diamants³…