[dòné dé nô dwazo] (loc. verb. CUI.)
Il est probable que dès l’établissement de la première forme de vocabulaire et de syntaxe, l’être humain s’est mis de côté quelques phonèmes dont l’objectif était de tancer ou humilier celui à qui ils étaient adressés.
En se sophistiquant, la langue a peu à peu oublié ces borborygmes primaires pour évoluer vers une utilisation beaucoup plus subtile de l’insulte, à tel point que le jet au visage d’un quidam d’une bordée d’injures s’est vue décrite comme donner des noms d’oiseaux.
Les savants se sont longtemps cassé le nez sur l’origine de cette formule aussi le Dictionnaire raisonné des mots surannés et expressions désuètes est-il particulièrement fier de vous exposer en ces lignes et en première mondiale l’histoire de donner des noms d’oiseaux.
Tête de piaf, poule mouillée, triple buse, grosse dinde
La sévère querelle ayant opposé Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, et Mathurin Jacques Brisson, neveu de la belle-sœur de Réaumur mais surtout ornithologue qui avec son ouvrage Ornithologie paru en 1760 va définir cent quinze genres pour les bébêtes à plumes, est à l’origine d’un échange très vert entre les deux emperruqués qui se serait conclu sur un péremptoire « mais ferme donc ton bec étroit de phalarope » envoyé à l’homme des Lumières par celui des oiseaux.
Une réplique qui lui aurait cloué le bec en question¹.
Donner des noms d’oiseaux en synonyme d’insulter serait née dans la foulée, tête de piaf, poule mouillée, triple buse et grosse dinde, complétant rapidement la Phalaropus lobatus qui-ferait-mieux-de-la-fermer initiale.
L’anecdote peu connue jusqu’ici explique cependant le caractère à la fois précieux de l’expression et le silence sous laquelle on a voulu la camoufler : on est dans cette affaire entre gens du meilleur monde et il serait incommodant de passer à la postérité pour une vulgarité (Cambronne en fera bien assez quelques années plus tard avec son fameux mot, mais ceci est une autre histoire).
Sans Brisson ni Buffon heureux oubliés, donner des noms d’oiseaux poursuivra son petit bonhomme de chemin grossier mais feutré jusqu’à rencontrer une vague de créativité la submergeant totalement.
L’algarade moderne faisant prioritairement appel à des mœurs familiales incongrues², l’invective contemporaine intimant à des comportements anthropophagiques sur ancêtres décédés³, donner des noms d’oiseaux n’avait plus aucune raison d’exister.
Pour l’anecdote, le dernier nom d’oiseau donné l’aurait été en 1982 lors d’un échange d’amabilités entre un chauffeur-livreur bouchant la rue Buffon (Vᵉ, Paris) et une automobiliste (dont nul ne sait si elle était Madame Brisson) au volant de sa 504 Peugeot :
«— T’avances ton char Ben-Hur ?
— Je bosse moi, vieille chouette ! ».