[ne pa sysé ke de la ɡlas] (loc. alco. SANT.)
Lorsque l’art apéritif se prenait au Balto en une compagnie d’habitués remettant tour à tour la tournée du p’tit dernier avant la route, régnait une expression qualifiant les plus rompus à l’absorption d’une quantité importante de boisson alcoolisée.
Ne pas sucer que de la glace, puisque c’est d’elle dont il s’agit, décrivait pour le mieux l’activité mandibulaire des meilleurs siroteurs de Suze ou Ricmuche d’alors.
Fruit d’une observation attentive, ne pas sucer que de la glace soulignait que le travail d’aspiration fourni concernait partiellement l’eau à l’état solide – nécessaire au refroidissement d’un Perniflard – mais pouvait aussi s’appliquer à des substances aux effets plus nocifs que celui de changer l’eau des olives naturellement prodigué par le trop-plein oppressant de la vessie.
L’on pourra discuter jusqu’à plus soif de l’efficacité du verbe sucer pour envisager l’aspiration d’un liquide mais en ces temps où le compartiment grand froid capable de fournir du glaçon n’avait pas encore surélevé de cinquante centimètres le Frigidaire, la chose semblait logique. La démocratisation du glaçon fait maison changerait la donne quelques années plus tard, mais ceci est une autre histoire.
Ainsi s’écoulaient donc les jours tranquilles de ceux qui faisaient le métier de la grenouille, jamais refroidis par quoi que ce soit¹ puisqu’ils ne suçaient pas que de la glace (le réchauffement assuré par l’alcool leur permettant de contrebalancer le coup de froid et d’éviter le rhume et ses complications¹).
La glace pilée c’est la modernité
Une soudaine mode cocktailisante imposant de la glace sous forme pilée dans la moindre boisson (y compris non alcoolisée) se répandit, sans qu’on en détecte réellement l’origine; il est cependant probable qu’elle fut le fruit d’un calcul mercantile de quelque multinationale assoiffée de dollars qui démontra que l’on pouvait, grâce à ce subterfuge, vendre une quantité inférieure de liquide à un prix supérieur puisque la glace pilée c’était de la modernité².
Dès lors, tout buveur de 7 à 77 ans se mit à ne pas sucer que de la glace, vidant de sa substance la locution jusqu’alors réservée aux soiffards.
Smoothies à la glace pilée, mojito à la glace pilée, daïquiri à la glace pilée, ti’punch à la glace pilée, kir à la glace pilée³ (!), pillèrent le jardin imagé du langage et envoyèrent ne pas sucer que de la glace au purgatoire des expressions surannées.
Une version clinique de l’abus de tout ce qui titrait au-delà du premier degré s’imposa fermement jusqu’à l’inscrire en lettres capitales sous la moindre réclame.
Là où « Ne pas sucer que de la glace » aurait pu réellement faire réfléchir les buveurs, on trouve un compliqué « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération » luttant avec « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » lui-même en concurrence avec « Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » que viennent souvent perturber le fameux « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » et le sentencieux « Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas« .
Le mélange avec « L’attention des souscripteurs est attirée sur les facteurs de risque décrits dans le prospectus » et « Jouer comporte des risques : endettement, isolement, dépendance. Pour être aidé, appelez le 09-74-75-13-13 (appel non surtaxé) » lui sera fatal.
En modernité, ne pas sucer de la glace est définitivement une formule désuète.