[se kalmé é bwar frè a sêtròpé] (loc. ciné. PROVEN.)
La critique de mœurs et l’observation acérée des travers de leur époque par les concepteurs spontanés de la langue surannée a souvent fait éclore de savoureuse expressions au succès certain avant de chuter dans l’abîme oublieux.
Ainsi, au crépuscule des années surannées, alors que la pression moderniste s’emploie de plus en plus à bâillonner la parole créative, surgit brusquement la faussement impérieuse se calmer et boire frais à Saint-Tropez en guise de dernière sommation adressée à l’excité exigeant.
On se calme et on boit frais à Saint-Tropez !
Destinée à calmer les ardeurs péremptoires de celui qui veut tout tout de suite, soit le moderne typique, se calmer et boire frais à Saint-Tropez enjoint avec philosophie méridionale et apéritive de prendre le temps de la réflexion avant l’action.
Contrairement à ce qu’il pourrait sembler au lettré ce n’est pas à l’échanson, homme de tempérance par essence, que l’on doit cette locution.
Issue d’une méditation cinématographique de Max Pécas sur les amours estivales¹ qui affole la critique en 1987, troisième et ultime volet d’une trilogie portant aux nues l’esprit du barbecue et du monokini, l’expression va connaître un succès immédiat et se retrouver émise à l’encontre de tous les chefaillons de France tempêtant pour qu’un travail quelconque soit terminé sur le champ.
À l’électrisé du bulbe qui ne jure que par ce temps qui pour lui est de l’argent ou à l’azimuté du ciboulot qui trouve dans l’énervement la meilleure façon de faire se hâter le sablier, l’on dira dorénavant de se calmer et boire frais à Saint-Tropez, y compris si l’on se trouve à Strasbourg Brest ou Biarritz, sympathiques bourgades pourtant réputées pour leur éloignement de la Côte d’Azur.
Véritable invitation contemplative, se calmer et boire frais à Saint-Tropez est une formule des plus respectueuses : elle vient en effet en lieu et place d’un plus rustre et viril renvoi dans ses vingt deux du pétulant animé par sa volonté de prompt résultat. Et même si certains lui reprocheront de pousser à la consommation de petit rosé des terroirs de Provence, elle aura vraisemblablement apaisé plus d’une situation tendue.
Cependant, se calmer et boire frais à Saint-Tropez ne perdurera guère plus de dix ans.
Alors que surgissent les années qui vont aller trop vite, l’expression du calme provençal va se voir balayée par l’Universal Mobile Telecommunications System et ses 1,9 Mbits/s, les procès faits aux cigales pour trouble à l’ordre public et cymbalisation intempestive, le 2.0 et les mots terminant en -ing.
Les incompatibles quiétude et fraîcheur du rosé de l’été avec l’ère contemporaine rendront impossible son utilisation.
Le moderne préfère « qu’on se sorte les doigts du *** et qu’on se mette au boulot », comme il dit.