[dòné de la kôfityr o kòSô] (loc. dépréc. GRUÏK.)
Parce que la dignité était une préoccupation quotidienne de nos lointains ancêtres qui vivaient aux temps surannés, nul ne pouvait en ricaner insolemment (alors qu’il est incontestable qu’il s’agit d’une valeur en crise au début de ce millénaire moderniste, il n’est que de voir l’un des hommes supposé le plus puissant du monde peigné comme un dessous de bras pour s’en convaincre).
Ce faisant, le rapport entre le cochon et la dignité¹ qui sourd malignement de donner de la confiture aux cochons interroge. Comment la dignité – valeur pinaculaire – a-t-elle rencontré le sanglier domestique dont on sait, même si on ne l’a jamais gardé avec quiconque, qu’il est un être fangeux ?
Outre la mauvaise réputation du porc, voire du goret, sur le plan de l’hygiène, l’opprobre jeté sur cet animal non ruminant par le Deutéronome דְּבָרִים (chapitre 14, versets 7-8) est certainement pour beaucoup dans cette dépréciation : le porc, donc le cochon, est indigne en soi. A fortiori le cochon en groupe l’est plus encore, le nombre de bestioles présentes multipliant l’avilissement.
Tous les ethnologues et autres sociologues patentés savent bien sous l’effet de la meute, l’indignité croît. Un cochon c’est déjà pas fameux, des cochons c’est carrément ignoble…
« Et la confiture dans tout ça ? » direz-vous, puisque dans donner de la confiture aux cochons il y en a.
En voilà un mets délicat, longuement concocté dans la cuisine de grands-mères surannées avec passion et beaucoup de sucre. Le rituel de la préparation des confitures à la fin de l’été sonnait l’heure de la rentrée. La maison embaumait les mûres, les groseilles ou encore les fraises, cueillies un peu plus tôt dans la saison…
La confiture c’est aussi l’énergie, celle du sucre dont l’image n’était pas encore désastreuse en raison des campagnes de dénigrement que l’on sait. Une cuillère à café de confiture surannée rivalisait sans peine avec une moderne canette de boisson gazeuse yankee, niveau sucre.
Ainsi, le cochon sujet de tant d’expressions et déjà objet de tant de railleries (eh bien mon cochon !), victime d’ostracisme (ne pas avoir gardé les cochons ensemble), salement réputé pour son hygiène et sa souplesse (être habile de ses mains comme un cochon de sa queue) devait-il naturellement s’associer à la confiture riche et délicate cuisinée avec amour par nos aïeules.
Donner de la confiture aux cochons, c’est marier l’art ancestral de nos cuisines classées au patrimoine immatériel de l’humanité avec ce que la nature a livré à ladite humanité de plus sale. Rien de moins.
Le cochon qui se nourrit dans des conditions répugnantes de glands et autres denrées ne saurait apprécier à sa juste valeur la confiture. On ne prendra donc pas le risque de voir l’animal peu soigneux de lui-même bâfrer une gourmandise si délicate : le cochon est indigne de la confiture.
Par extension à l’humaine condition, donner de la confiture aux cochons c’est offrir un cadeau bien trop beau et précieux à un indigne récipiendaire.
Dignus est confitur
Comme le chantaient les savants de Molière, Dignus est intrare ! (locution latine qui est aussi le mot de passe pour ouvrir la porte du camp de Scipion dans Astérix légionnaire, mais ceci est une autre histoire) : il est digne d’entrer dans le cénacle des savants.
Paraphrasant sans honte Poquelin, nous aurions pu dire dignus est confitur. Mais l’époque est désormais à balancer sur le cochon, pas à lui filer de la confiote pour quatre heures.
Nota bene : nos fidèles lecteurs pratiquants des mots surannés et expressions délicieusement désuètes auront compris qu’en dépit d’une similitude de construction, donner de la confiture au cochons n’a rien à voir avec donner des noisettes à ceux qui n’ont plus de dents. Sans dents on peut manger de la confiture tout en restant digne. La dignité n’a aucun lien avec le nombre de dents, fussent-elles de sagesse.