[avwar dérulé dy kabl] (Exp. P&T)
Fruit du temps qui a passé, et modeste consolation pour le (la) concerné(e), l’expérience tend parfois à se mettre en valeur histoire de rappeler au jeunot que ce n’est pas au vieux singe qu’il apprendra à faire des grimaces.
Le vécu possède bien entendu dans la langue surannée de quoi fanfaronner et laisser coi le blan-bec qui entendait la ramener. Avoir déroulé du câble comporte ce qu’il convient de truculence et de bagage technique pour faire l’affaire. « Tu sais mon petit Kevin¹, j’en ai déroulé du câble » s’annoncera dans un semi soupir traduisant à la fois la lassitude d’avoir à le souligner (les heures de vol n’échappent pas à l’acuité commune) et la désespérance face à l’arrogance jeuniste qui entendait faire la leçon à la force de l’âge.
Né après 1837 et le déploiement des deux premiers kilomètres de liaison télégraphique filaire entre Londres et Birmingham, avoir déroulé du câble commencera véritablement son installation dans la langue française en 1845 avec la ligne télégraphique Paris-Rouen (150 bornes).
Tu sais mon petit Jules, j’en ai déroulé du câble
Il ne faudra pas longtemps pour que l’expression s’impose puisqu’en 1863 l’administration des Postes et Télégraphes (P&T) aura déroulé 28671 kilomètres de câble sur le territoire, permettant d’envoyer des petits bleus à qui on veut. L’histoire officieuse prête à Adolphe Louis Cochery, ministre des Postes & Télégraphes de 1879 à 1885, la première utilisation en conseil des ministres de « Tu sais mon petit Jules², j’en ai déroulé du câble », preuve de l’importance prise par la formule tant dans le langage châtié que populaire.
Au cours des cent ans qui suivront, avoir déroulé du câble châtiera sans violence le morveux arrogant et le jean-foutre de moins de vingt printemps, remettant à sa place la vigueur du puceau.
Une crise moderniste portant aux nues tout ce qui n’a pas encore vécu entamera l’aura de l’expression. La lenteur coupable de l’équipement du pays en câble nécessaire à l’acheminement des 0 et des 1 composant désormais le moindre message³, l’enterrera définitivement.
Mon petit Kevin sait désormais. Et mon vieux Jules ferait mieux d’écouter.