
Fig. A. Troubadours éconduits.
[nâ Zeté ply, la kur è plèn] (exclam. ÉNERV.)
Dans le grand registre des expressions françaises servant à signifier que trop, c’est trop, n’en jetez plus, la cour est pleine occupe une place de choix.
Plus imagée que le simple « ça suffit », plus solennelle que « stop », elle marque l’instant précis où la patience a atteint ses limites, où l’indignation a fait le plein, où l’on est à deux doigts de corriger tout ce qui bouge – verbalement du moins.
L’expression ne date pas d’aujourd’hui. Elle trouve ses origines dans les rues animées de Paris, où les chanteurs de rue faisaient résonner leurs aubades en espérant récolter quelques pièces lancées depuis les fenêtres. Malheureusement, le public n’était pas toujours mélomane, et en l’absence d’un jury bienveillant pour buzzer sur leur prestation, il arrivait que ces artistes au talent contesté soient remerciés d’une toute autre manière : un lancer d’objets divers et variés, allant des épluchures de légumes aux invectives bien senties.
C’est dans ce contexte hautement artistique que naquit n’en jetez plus, la cour est pleine, exclamée par ces troubadours des pavés en signe de capitulation face à l’enthousiasme agressif de leur public. Autrement dit : c’est bon, on a compris, inutile d’en rajouter.
Avec le temps, l’expression a quitté les cours pavées pour envahir le langage quotidien. Elle a servi à couper court aux discours sans fin, aux reproches accumulés, aux justifications inutiles, et plus généralement à tout ce qui ressemble à un acharnement en règle. Elle pouvait aussi s’appliquer aux situations absurdes où l’on continue à empiler du désastre sur du chaos, comme un mauvais gestionnaire de crise qui pense qu’un problème résolu par un autre problème est une solution viable.
Bien sûr, l’expression a perdu un peu de son panache. Aujourd’hui, les lanceurs de tomates préfèrent le faire sur les réseaux qu’ils disent sociaux, et ceux qui atteignent le point de rupture optent pour un sobre « ok, c’est bon, lâche-moi » – nettement moins élégant, convenons-en.
Mais qu’on se le dise : face à un flot de critiques, une accumulation d’absurdités ou une avalanche de mauvais choix, n’en jetez plus, la cour est pleine reste la réplique parfaite. Elle rappelle en effet une vérité universelle : tout a ses limites, même la patience des plus stoïques.
Dommage que certains modernes n’aient jamais entendu parler de cette expression.