[manyfrâs] (marq. dép. CATAL.)
En 1879, au cœur de cette période que nous autres chercheurs appelons « les années d’or du suranné », la Manufacture Française d’Armes de Chasse et de Tir de Saint-Étienne voit le jour sous l’impulsion du respecté C. Martinier-Collin. Six ans plus tard, en 1885, les sieurs Étienne Mimard et Pierre Blachon la lui rachètent pour 50 000 pièces-or. La même année est créé le Chasseur Français et ses fameuses et fabuleuses petites annonces. Coïncidence ? Nous allons enquêter.
Il nous faut patienter deux ans de plus, soit jusqu’en 1887 pour comprendre : MM. Mimard et Blachon, que l’on surnomme Titi et Pierrot dans le très amical et sans fioritures milieu de la chasse forézienne, viennent de déposer le brevet du fusil Idéal®, le meilleur et le plus beau fusil de chasse du monde consacré lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889. L’époque est au phallique et le notable digne de son rang tout comme le paysan doivent posséder arquebuse trônant au-dessus de la cheminée.
Au 42 rue du Louvre, le premier magasin de la Manufacture Française d’Armes de Chasse et de Tir de Saint-Étienne ne désemplit pas. Le fusil Idéal® est un succès.
La Manufacture Française d’Armes de Chasse et de Tir de Saint-Étienne devient dans la foulée Manufacture Française d’Armes et Cycles de Saint-Étienne (en vendant l’Hirondelle, son propre vélocipède utilisé par les brigades cyclistes de la police de Paris¹ jusqu’en 1984), puis Manufrance en 1911. Elle possède alors 8 magasins, 367 agences et un catalogue qui lui permet de vendre par correspondance armes, cycles, machines à coudre, articles de pêche, couteaux, pelles, outils de bricolage…
En 1977, apogée de Manufrance, son catalogue de 1000 pages est envoyé à un million et demi de foyers français, dont celui qui me choie. Je m’y plonge de longues heures avec délectation. Le circuit 24 avec ses virages relevés sera sur ma liste au Père Noël. Je rêve aussi d’un baby-foot sur pieds cornières démontables fabriqué en bois verni et son fond garni de feutrine verte (laine mélangée). Et les déguisements ! Les patins à roulettes !
Si je divague jusqu’aux pages des armes j’y admire les carabines à plomb, les 22 LR et autres descendants de l’Idéal®. La tente Igloo est la reine de la partie camping, mais je sais bien qu’elle m’est inaccessible. Trop chère. Je passe des heures en coutellerie, comparant les milliers de possibilités des divers couteaux suisses, décortiquant le descriptif des Opinel. Le catalogue Manufrance est une source inépuisable de savoirs et de connaissances.
Manufrance est aussi une entreprise puissante et respectable. Et elle le prouve en s’affichant fièrement sur les poitrines des Verts, héros footballistiques locaux et même nationaux. Rocheteau, Larqué, Janvion arborent MF sur leurs maillots et enquillent les buts comme Manufrance les références. Le 12 mai 1976, à Glasgow, Manufrance n’orne pas les poitrails des Stéphanois² quand à la 34ᵉ minute Dominique Bathenay décroche de son pied gauche un tir magique… qui s’écrase sur la barre transversale.
Nous ne le savons pas encore mais la chance vient de tourner. L’ASSE et Manufrance vont suivre une trajectoire similaire qui les fera tomber plus bas que terre. Tout s’accélère. Las, en 1980 c’est le dépôt de bilan. Bernard Tapie, symbole de la modernité décomplexée, obtient le droit d’exploiter Manufrance. Mais le bonhomme qui chante³ qu’il veut « Réussir sa vie » n’y connaît rien en suranné et c’est la fin.
Triste sort.
Manufrance renaîtra sous une forme numérique un peu plus tard mais le cœur n’y est plus. Le fusil Idéal® ne fait plus l’homme et le Chasseur Français a pris froid à force de crapahuter dans la forêt. Les ingrédients du succès sont désormais urbains.