[avwar lèr de revenir de pôtwaz] (loc. verb. AHUR.)
Précisons-le en guise de préambule : je n’entretiens aucun ressentiment particulier à l’égard de Pontoise et de ses trente mille habitants, chef-lieu départemental sis à environ vingt-cinq kilomètres au nord-ouest de Paris. Je crois même pouvoir affirmer y avoir déjà mis les pieds sans prendre mes jambes à mon cou, c’est dire si Pontoise me sied.
Il ne semble cependant pas qu’aux temps anciens du suranné il en ait été de même pour la sagesse populaire, celle qui usait de l’expression qu’ici nous étudions. Car avoir l’air de revenir de Pontoise n’est guère flatteur. Que ce soit pour celui qu’elle décrit ou pour les susnommés Pontoisiens et Pontoisiennes.
Si vous avez été élevé poulbot, il est probable que vous l’ayez entendue à l’occasion d’un retour à la maison hébété par, au choix, une bulle en humanités (le zéro en latin fit partie de mes spécialités), une poursuite par le très gros chien du bas de la rue (il ne m’a jamais rattrapé), le regard d’une blonde à queue de cheval et yeux azur. Dans chacun de ces cas il est plus que certain que vous ayez eu l’air de revenir de Pontoise même si vous ne veniez que de la rue du Moulin vert (XIVᵉ arr.) ou de celle de la Contrescarpe (Vᵉ arr.).
Avoir l’air de revenir de Pontoise c’est porter dans son regard tout l’ébahissement du simple d’esprit, toute l’innocence de l’idiot du village, toute la naïveté du ravi de la crèche. Mais pourquoi Pontoise, vous entends-je hurler, vous qui aimez tant ce Vexin qui commence ! Que diantre a bien pu faire cette ville pour supporter ainsi le poids de tous les ahuris ? A-t-elle caché quelque relique romaine sous sa chaussée Jules-César ? A-t-elle empoisonné un régiment entier avec son ginglet, petit vin de coteaux bien souvent aigrelet ? Fut-elle le centre de l’épidémie de peste de 1638 ? Nul ne le sait vraiment, même si l’histoire raconte que le Parlement de Paris s’y exila par trois fois et rendit ainsi très complexe la transmission d’informations jusqu’à la capitale.
Sans autre raison que celle de l’habitude, on dit de celui qui porte bouche bée qu’il a l’air de revenir de Pontoise, c’est ainsi.
Avoir l’air de revenir de Pontoise a disparu, précisément le 16 avril 1969, date officielle de la création de l’établissement public d’aménagement (EPA) de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Sous l’idée urbanistique moderniste de la maille et de la dalle allait périr avoir l’air de revenir de Pontoise (et Pontoise elle-même mais ceci est une autre histoire). Une autre vision de la France urbaine naissait et elle n’avait nullement besoin d’une expression qui, disons-le tout de go, faisait passer ses habitants pour des cons.
Près de cinquante années se sont écoulées. L’urbanisme des villes nouvelles a trouvé lui aussi ses limites. M’est avis qu’il n’est pas très loin de devenir suranné et que ses promoteurs d’alors auront un peu l’air de revenir de Pontoise.
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