À coucher dehors avec un billet de logement [a kuʃe døɔʁ avɛk œ̃ bijɛ dø lɔʒəmɑ̃]

Fig. A. Coquin présentant son billet de logement au marquis (avant de présenter ses hommages à Madame la marquise), huile sur toile, Paul-Léon Jazet, 1879.

[a kuʃe døɔʁ avɛk œ̃ bijɛ dø lɔʒəmɑ̃] (MILIT. LAID.)

Quand la disgrâce physique est telle qu’elle ne peut être nommée directement – moche, laid, affreux s’avérant insuffisants – il existe heureusement une belle expression qui sans tourmenter plus qu’il ne l’est le laideron, fera son petit effet. À coucher dehors avec un billet de logement remet ainsi l’infortune plastique à sa place : hors de la chacunière.

Acte administratif qui permet au militaire en déplacement de trouver le gîte et le couvert chez l’habitant, le billet de logement assure au grenadier de la Vieille Garde comme à n’importe quel soldat de l’Empereur de dormir à l’abri. Et gare à l’inhospitalier qui refuserait d’accueillir un homme de la Grande Armée, le laissant coucher dehors avec son billet de logement : c’est un aller simple pour le bagne qui l’attend. On respecte le Marie-Louise d’Austerlitz ou de Friedland, bon sang !

C’est dire qu’il faut plus qu’une bonne raison pour refuser son bercail au troufion.

Plus qu’une verrue sur le tarin, plus que des yeux qui croisent les bras, plus qu’un nez à piquer les gaufrettes : il faut que le traîneur de sabre ait vraiment la gueule en coin de rue, qu’il donne dans l’hideux, dans le fétide, dans le contrefait pour coucher dehors avec un billet de logement.

On admettra cependant l’exception à la règle du fait d’une désarmante disharmonie. Inutile de brandir bien haut le billet passe-partout : la solide laideur n’autorise même pas à dormir dans la baignoire ou sur le canapé. Dehors le blèche, à la belle étoile le vilain !

Notons que le (faux) billet de logement servira bien souvent au coquin souhaitant présenter ses hommages à Madame la marquise tandis que Monsieur le marquis est toujours dans les murs… Ce sera là l’une des raisons de sa disparition. Le cocu berné par sa subordination à la bureaucratie se vengera en bannissant billet et expression associée.

Le propriétaire d’une sale hure, l’échappé de la cour des Miracles, le fabriqué en fiacre redeviendront des moches sans aucune compassion, l’époque moderne n’ayant pas les mêmes égards de langage qu’antan.

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