[a lyzaZ dy dofê] (loc. roy. XIV)
Quand il parvient du louchébem le langage suranné sait se taper sur le ventre virilement, mais si c’est à la cour qu’on l’entend, ronds de jambes, génuflexions et serviles révérences l’accompagneront.
Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier, membre influent de la cour du roi Soleil, est le rédacteur de la formule ad usum delphini que nous étudierons ici dans sa version française, à l’usage du dauphin.
Militaire plus enclin à la canonnade qu’à la déconnade, le maréchal de camp des armées du roi devint, après s’être distingué dans la bataille, gouverneur du Grand Dauphin, Louis de France, fils de Louis XIV. Autant dire que SAR Monseigneur le Dauphin reçut une éducation des plus strictes (dont il finit tout de même par se dépouiller sur le tard en épousant sa maîtresse malgré l’interdiction du roi, mais ceci est une autre histoire).
Les divers ouvrages de lecture qui étaient mis sur la table de chevet du jeune dauphin n’y parvenaient qu’après avoir subi la censure du gouverneur, et l’apposition de la mention à l’usage du dauphin sur la couverture. Ainsi, point de subversifs récits dans l’éducation du futur monarque¹, des fois qu’il se prendrait d’affection pour la gaudriole en lisant du Rabelais et qu’il irait nous fiche en l’air le royaume, bougre d’âne. Chaque ouvrage, chaque représentation du passé, chaque idée exposée était à l’usage du dauphin.
Prestige d’une monarchie française alors copiée par le monde entier oblige, à l’usage du dauphin fit florès et devint la marque de l’arrangement avec la vérité, du travestissement des faits, du petit mensonge au gros complot.
Effaçant grossièrement des photos officielles les opposants dessoudés, Lénine puis Staline s’avérèrent particulièrement férus d’à l’usage du dauphin. Divers roitelets, dictateurs, manipulateurs, complotistes et autres inventeurs d’armes de destruction massive leurs emboitèrent le pas, abusant tant et tant du cétacé qu’ils en firent une marionnette de parc aquatique.
Née au XVIIᵉ siècle, à l’usage du dauphin possédait toutes les qualités pour rester d’une éternelle actualité. La modernité numérique lui préféra un néologisme commercial glorifiant son action : plutôt qu’à l’usage du dauphin, la vérité-vraie-enfin-presque se dit Photoshopée depuis 1990, date de la mise sur le marché par Adobe® d’un logiciel capable d’éliminer (sur la photo) tout opposant gênant ou tout capiton disgracieux.
Photoshop is the new à l’usage dauphin, comme on dit quand on n’est pas suranné.