[a tut bèrzêɡ] (exp. rap. VIT.)
Si un jour l’encyclopédie raisonnée (et diablement raisonnable) que voici vous avait annoncé que vous parlez patois picard, oui vous les surannés, vous en seriez restés cois, dans le meilleur des cas.
Ami Picard, toi qui nous lis, ne sois pas offensé, car tu le sais : tu as un accent prononcé. Il est ta signature sonore et seuls tes cousins du Nord savent amplifier ces onomatopées qui se déclament bouche bée. Sache pour le moins que tu as donné à la langue surannée une expression de la vitesse qui, bien que dépassée, résonne encore aux oreilles de ceux qui se sont pris la grande descente de la mairie en vélo à toute berzingue.
Réglons le cas du genre une fois pour toutes : à toute berzingue s’écrit aussi à tout berzingue, le parler de l’antique Belgique gauloise ayant omis de produire une règle asservissant l’accord de l’adjectif indéfini au masculin ou au féminin. Voilà qui nous évite un débat avec les passionné(e)s qui n’hésitent pas à revendiquer l’indépendance du participe passé (mais ceci est une autre histoire).
Concentrons-nous sur cette (ce) brindezingue picard(e) qui comme chacun le sait tient lieu de fou, d’irresponsable, de dingo et qui nous a légué berzingue.
Notons tout de même que brindezingue signifie aussi être beurré comme un Petit-LU, ou bourré comme un œuf à deux jaunes, c’est comme vous voudrez.
Nous ne nous appesantirons pas sur l’origine géographique de cet abus d’alcool, il aurait pu provenir de toute autre région de France (mais c’est bien de Picardie qu’il nous vient) si ce n’est pour souligner que l’abus se transforme par un phénomène étrange en vitesse… Or, si qui a bu boira, qui a bu sait aussi qu’il n’ira pas plus vite.
Mais c’est sans doute sous le coup (on n’ose dire la grâce) de perceptions tronquées par l’éthylisme qu’à toute berzingue est devenu synonyme d’à toute vitesse. Déjà la sagesse ancestrale qui dénonce la vitesse à tout crin comme unique but de l’action; nous y reviendrons. Mais en une époque où l’on sait prendre le temps, voire l’apprécier lorsqu’il passe en bonne compagnie, à toute berzingue est bien une expression de l’ivresse de celui qui espère aller plus vite que la musique.
Et pourtant je n’ai pas bu quand sur mon Bernard Dangre orange à trois vitesses je file à toute berzingue. Dans la descente, à fond les ballons. Je suis Bernard Hinault dans le Tourmalet. Le virage à gauche devant le bar-tabac est des plus périlleux, je le sais bien, mais rien ne doit empêcher ma victoire sur le temps.
Le cantonnier à mis du gravier ce matin. Là, juste dans le tournant. La roue avant décide de me faire défaut. J’entraîne deux tables et quatre Perniflard dans ma voltige magnifique. Le sang qui pisse de mon crâne fait des petits ballons rouges rigolos. Mon vélo a quant à lui fini dans la vitrine. Les dizaines de petits cailloux piqués dans mes genoux et mes cuisses ne me font pas encore mal.
À toute berzingue disparait quelques années plus tard, le 1er mai 1994, quand Ayrton Senna rate pour sa part la courbe de Tamburello, à Imola. À plus de trois cents kilomètres par heure Magic Senna va fracasser sa belle gueule d’ange sur un mur en béton.
Lui n’a pas eu la chance d’être arrêté par les grands-pères du village sirotant l’anisette. Cette fois, j’ai vraiment mal.